livres,
"comme si ce n'etoit, dit-il, d'un homme sage et prudent de parler de
toutes choses avec indifference..." Et a la fin il parvient a nous
glisser encore sa conclusion favorite, a savoir "le bon droit des
Pyrrhoniens fonde sur l'ignorance de tous les hommes." En etudiant
beaucoup un erudit qui, certes, a du rapport avec Naude, il m'a de plus
en plus semble que M. Daunou etait l'heritier direct, le redacteur
accompli (non inventeur), et en quelque sorte le _secretaire_ posthume
du XVIIIe siecle. Eh bien! Naude peut etre dit non moins exactement le
_bibliothecaire_ du XVIe; il en recueille et en classe les livres, et,
en les rangeant, il se donne le spectacle de cette grande melee de
l'esprit humain. La reprise moderne des vieux systemes lui remet en
memoire ces _deux cent quatre-vingts_ sectes de l'antiquite toutes
fondees sur la recherche et la definition du souverain Bien. Sa
philosophie de l'histoire est des plus simples, et n'en est peut-etre
pas moins vraie pour cela. A propos des trains et des vogues d'idees qui
se succedent depuis deux mille ans, vogue platonicienne, aristotelique,
scholastique, heretique et de Renaissance, Naude se borne a remarquer
que le meme train de doctrine dure jusqu'a ce que vienne un individu qui
lui _donne puissamment du coude_ et en installe un autre a la place.
Et c'est l'ordinaire des esprits, dit-il, de suivre ces _fougues_ et
changements divers, _comme le poisson fait la maree_. Aussi, quand la
maree se retire, il en reste quelques-uns sur la greve et des plus
beaux: les gens du rivage en font leur profit et les depecent [235].
[Note 234: Bayle aussi avait pour maxime de _garder toujours une
oreille pour l'accuse_.]
[Note 235: Il s'eleve pourtant de ton en revenant sur ce sujet favori
des revolutions d'idees, au chapitre VI de son _Addition a l'Histoire de
Louis XI_. Ayant recommence a parler de _cette grande roue des siecles
qui fait paraitre, mourir et renaitre chacun a son tour sur le theatre
du monde_, "si tant est que la terre ne tourne, dit-il (car il n'a garde
d'en etre tout a fait aussi sur que Copernic et Galilee), au moins
faut-il avouer que non-seulement les cieux, mais toutes choses, se
virent et tournent a l'environ d'icelle." Et citant Velleius Paterculus,
lequel est avec Seneque un vrai penseur moderne entre les anciens, il en
vient a admirer la conjonction merveilleuse qui se fait a de certains
moments, et la conspiration active de tous les esprits inventeu
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