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"Les bonnes oeuvres n'ont jamais cesse de l'occuper, et il versa
beaucoup de larmes, quelques jours avant sa mort, en apprenant qu'une
pauvre femme qu'il avait recommandee au ministre des finances venait de
recevoir une somme considerable: une joie pure colora pour la derniere
fois son noble visage, et, regardant le ciel, il remercia Dieu avec
attendrissement..." Il expira le 26 fevrier 1821, a l'age de pres de
soixante-huit ans.
Les annees qui ont suivi, en confirmant quelques-unes de ses vues et en
en contredisant certaines autres, n'ont fait qu'elever de plus en plus
haut son nom et l'autorite de son esprit parmi les hommes. Il est meme
arrive que, lui aussi, lui si isole de son vivant et si dedaigneux de
la vogue, il a eu en France une espece d'ecole, et qu'on s'est mis a le
celebrer, a le contrefaire par lieu-commun. L'histoire de son influence
posthume serait assez longue, assez compliquee, et, ce me semble,
fastidieuse a faire aujourd'hui. C'est de lui surtout qu'il serait exact
de dire ce qu'il a dit lui-meme de tout ecrivain, d'apres Platon, que
la parole ecrite ne represente pas toute la parole vive et vraie de
l'homme, _car son pere n'est plus la pour la defendre_. M. de Maistre me
parait, de tous les ecrivains, le moins fait pour le disciple servile
et qui le prend a la lettre: il l'egare. Mais il est fait surtout pour
l'adversaire intelligent et sincere: il le provoque, il le redresse.
Et pour parler a sa maniere, on ne craindrait pas de dire, dut-on faire
regarder d'un certain cote, que le disciple qui s'attache aux termes
memes de De Maistre et le suit au pied de la lettre est _bete_. La bete
a l'inconvenient de ne venir jamais seule; elle introduit le fripon.
Mais coupons vite avec cette queue facheuse et parfaitement indigne d'un
sujet si noble et si grand; tenons-nous jusqu'au bout en presence de la
haute, de l'integre et venerable figure. Rappelons-nous a son propos ce
que Bossuet a dit de Rance dont on venait denoncer les exagerations, et
appliquons-lui surtout en pleine certitude ce beau mot de Saint-Cyran
sur saint Bernard: "C'a ete _un vrai gentilhomme chretien_."
Juillet-Aout 1843.
(Comme article essentiel a joindre a celui-ci sur le comte de Maistre,
voir ce que j'ai ecrit lors de la publication de ses Lettres, au tome IV
des _Causeries du Lundi_; et sur sa _Correspondance diplomatique_, un
article dans le _Moniteur_ du 3 decembre 1860. Voir aussi _Port-Royal_,
tome III, livre III,
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