s aupres du fondateur meme,
je veux dire le bibliothecaire de Mazarin et le grand bibliographe
d'alors, ce Gabriel Naude dont le cachet est la partout sous nos yeux,
dont l'esprit se represente a chaque instant dans le choix des livres
et s'y peint comme dans son oeuvre? C'est a lui que je m'attacherai
aujourd'hui, moins encore au savant qu'a l'homme; moi, le dernier venu
et le plus indigne de sa posterite directe, je veux gagner mon titre
d'heritier et lui consacrer, a lui le grand sceptique, cet article tout
pieux, au moins en ce sens-la.
[Note 222: M. de Feletz.]
Un de nos jeunes et curieux amis a fait, il y a bien des annees deja,
une etude de Naude en cette _Revue_ [223]; il s'est applique a toute sa
vie, s'est etendu sur ses divers ouvrages, et a pris plaisir autour de
l'erudit. C'est au moraliste, au penseur, que je vise plutot ici;
c'est l'esprit de la personne et le procede de cet esprit que je vais
m'efforcer de degager, de faire saillir de dessous la croute d'erudition
assez epaisse qui le recouvre. Tout est dans Bayle, a-t-on dit, mais il
faut l'en tirer pour l'y voir. Combien ce mot est-il plus vrai de Naude
encore, lequel n'a ni point de vue apparent ni relief saisissable, et
qui etouffe son idee comme a dessein sous une masse de citations et
de digressions! Il s'agit, dans ce bloc confus et presque informe, de
retrouver et de tailler le buste de l'homme. Au bout d'une des salles de
la Mazarine un buste de lui existe en marbre, et fait pendant a celui de
Racine; j'ai souvent admire le contraste, et je ne sais si c'est ce
que l'ordonnateur a voulu marquer: ce sont bien certainement les
deux esprits qui se ressemblent le moins, les deux ecrivains qui se
produisent le plus contrairement; l'un encore tout farci de gaulois,
cousu de grec et de latin, et d'une diction veritablement polyglotte,
l'autre le plus elegant et le plus poli; celui-ci le plus noble de
visage et si beau, celui-la si fin. Il y a de quoi passer entre les
deux. Mais le point ou je voudrais relever et voir placer le buste de
Naude, c'est a son vrai lieu, entre Charron, ou mieux entre Montaigne et
Bayle: il fait le noeud de l'un a l'autre, un tres gros noeud, assez dur
a delier, mais qui en vaut la peine. Otez encore une fois l'enveloppe et
l'ecorce, je resume le sens et j'appelle mon auteur par son vrai nom: un
sceptique moraliste sous masque d'erudit.
[Note 223: _Revue des Deux Mondes_, 15 aout 1836, article de M.
Labitte.]
Gabriel
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