chap. xiv.)
GABRIEL NAUDE
Il me semble difficile, lorsqu'on est arrive en quelque endroit nouveau,
en quelque coin du monde, pour s'y etablir et y vivre quelque temps, de
ne pas s'enquerir tout d'abord de l'histoire du lieu (et, si obscur, si
isole qu'il soit, c'est bien rare qu'il n'en ait point): quels hommes
y ont passe, s'y sont assis a leur tour; quels l'ont fonde, donjon ou
clocher, maison d'etude ou de priere; quels y ont grave leur nom sur le
mur, ou seulement y ont laisse un vague echo dans les bois. Ce passe une
fois ressaisi, ces hotes invisibles et silencieux une fois reconnus, on
jouit mieux, ce semble, du sejour, on le possede alors veritablement,
et le _Genius loci_, que notre hommage a rendu propice, anime doucement
chaque objet, y met l'ame secrete, et accompagne desormais tous nos pas.
Ainsi surtout doit-on faire s'il s'agit d'un lieu de quelque renom,
d'une fondation destinee precisement a perpetuer la memoire des hommes
et des choses. C'est ce que je n'ai eu garde de negliger pour notre
bibliotheque Mazarine, depuis qu'un indulgent loisir m'y a fait asseoir,
et que le regime du plus aimable des administrateurs [222] nous y rend
les douceurs d'Evandre; je me suis senti sollicite du premier jour
a rechercher l'histoire des predecesseurs. Un de ces derniers, M.
Petit-Radel, a ecrit fort savamment (je dirais peut-etre un autre mot si
ce n'etait, lui aussi, un ancetre) l'historique de l'etablissement qu'il
administrait. Fondation de Mazarin, mais n'ayant ete livree au public
dans le local et sous la forme actuelle que bien apres lui, desservie
durant tout le XVIIIe siecle par une dynastie purement theologique de
docteurs en Sorbonne, cette bibliotheque s'ouvrit, au moment de la
Revolution, u des noms de conservateurs un peu melanges. La, Sylvain
Marechal siegea; il fallut purifier la place. La, Palissot, vieillard
souriant, revenu de la satire, se consola dans le voisinage de
l'Institut de ne pouvoir pas en etre. Boullers, nomme un instant pour
lui succeder en 1814, n'y parut jamais: il se contenta d'envoyer
demander le premier jour, par un reste de vieille habitude, ou etaient
les ecuries et remises du logement de Palissot, afin d'y loger sans
doute les chevaux qu'il n'avait plus. Montjoie, l'auteur des _Quatre
Espagnols_, si oublie, ne prit que le temps d'y entrer, de s'en rejouir
et d'y mourir. Mais tous ces hotes passagers qui ne pourraient qu'egayer
d'une anecdote un fond si grave, que sont-il
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