d'il y a trente ans s'accordaient a
parler comme d'une epoque presque barbare. La ressource de l'humanite,
en avancant, est de se debarrasser du bagage trop pesant et d'oublier:
ainsi elle trouve moyen de se redonner par intervalles un peu de
fraicheur et une soif de nouveaute. Cardan, Pic de la Mirandole,
Scaliger, ces colosses de science, ou mieux, pour parler comme notre
auteur, ces _preux de pedanterie_, aussi merveilleux et plus vrais que
ceux de la Table-Ronde, etaient donc les maitres familiers de Naude et
les rudes jouteurs auxquels avait affaire incessamment son adolescence.
Quant a ceux qui avaient ecrit en francais, tels que Bodin, Charron
et Montaigne, il n'y pouvait voir que ses compagnons de plaisir, tant
c'etait facilite de les aborder au prix des autres. Le XVIe siecle
(on avait droit de le croire a l'immensite de l'inventaire) avait et
possedait tout,--tout, hormis ce seul petit fruit assez capricieux,
qui ne vient, on ne sait pourquoi, qu'a de certaines saisons et a de
certaines expositions de soleil, je veux dire le bon gout, ce present
des Graces [225].
[Note 225: S'il l'eut sur un point, ce fut en architecture et
sculpture sous les Valois, pas en une autre branche.]
Le bon gout dans les choses litteraires, et la methode, cet autre bon
gout qui est particulier aux sciences, le XVIe siecle n'en sut point
le prix ni l'usage. Galilee seul fit exception comme savant, et offrit
l'instrument exact a l'age qui succeda. Auparavant, la confusion tout
le long du chemin compromettait la recherche, et encombrait en fin de
compte la decouverte. L'astronomie de ces temps continuait de se meler
a l'astrologie, la chimie a l'alchimie, la geometrie aux nombres
mystiques; la physique n'avait pas fait divorce avec les charlatans. Ce
n'etait pas le vulgaire seul qui parlait de magie. Les superstitions de
toutes sortes trouvaient place a cote de l'audace de la pensee et jusque
dans l'incredulite philosophique. Les plus grands esprits, Cardan,
Bodin, Agrippa, Postel, inclinent par moments au vertige et aux
chimeres. Le resultat de cette vaste epoque effervescente a son
lendemain et aupres des esprits rassis, judicieux, critiques, qui
l'embrasseraient par la lecture, devait etre naturellement le doute, au
moins le doute moral, philosophique; et de toutes parts le XVIe siecle
finissant l'engendra.
On avait tout dit, tout pense, tout reve; on avait exprime les idees
et les recherches en toute espece de style, dans une
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