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croire en danger; nous supposions plutot cet affaiblissement du a l'age,
dont les effets se hataient plus que d'ordinaire et s'accumulaient plus
rapidement. Mais lui, quoiqu'il n'eut aucune maladie, il se sentait
frappe a mort. Je me rappelle que j'avais commence son portrait, et que,
voulant le mettre dans son costume de chancelier, il me promit de venir,
je "crois, le jour de l'an ou il devait faire sa cour au roi. Il vint en
effet; et comme je lui disais qu'il n'aurait pas du venir ce jour-la,
car il paraissait tres-fatigue d'avoir monte notre escalier, il me
repondit, en baissant la voix pour que sa fille qui l'accompagnait ne
l'entendit pas: _J'ai voulu venir aujourd'hui, car je ne pourrai plus
revenir_, et cela avec un sourire si calme et si naturel que l'on aurait
cru qu'il s'agissait d'un petit secret qui aurait pu causer quelque
contrariete. En effet, il cessa de faire des visites; mais il continuait
a s'occuper et a travailler comme a son ordinaire; il n'avait ni fievre
ni aucune maladie appreciable, seulement un degout de la nourriture
qui augmentait de jour en jour, sans pourtant qu'elle lui fit mal.
Il s'affaiblissait si visiblement, que sa famille s'alarmait, et les
medecins aussi, parce qu'ils ne pouvaient en deviner la cause. Je
passais chez lui presque toutes les soirees, et je lui ai entendu faire
plusieurs fois allusion a sa mort prochaine, et toujours de la meme
maniere, c'est-a-dire avec une paix admirable et le soin de menager sa
famille, pour laquelle il n'avait jamais ete si tendre et si affectueux.
Il s'est fait administrer deux fois, pendant le mois qui a precede sa
mort" (dont une fois le 29 janvier, jour de la fete de saint Francois de
Sales). Et ailleurs, dans une lettre de source encore plus intime, on
lit ces details qui conduisent de plus en plus pres et jusqu'a la fin:
"Nous osions cependant nous livrer quelquefois a l'esperance, parce que
ses facultes morales n'avaient jamais ete si vives ni si prodigieuses;
pendant cinquante jours qu'a dure sa maladie, il n'a cesse de s'occuper
des affaires de sa charge, de ses affaires domestiques, de la
litterature et de la politique; il nous a dicte plus de cinquante
lettres, et trouvait un grand plaisir dans les lectures continuelles que
nous lui faisions. Etonne lui-meme de ce que son esprit ne se ressentait
point de la faiblesse de son corps, il nous disait en riant: _Vous serez
fort surpris de ne trouver plus un jour dans ce lit qu'un pur esprit
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