defendu. Nes fort mal a propos, trop tot ou trop tard,
nous avons essuye toutes les horreurs de la tempete sans pouvoir jouir
de ce soleil qui ne se levera que sur nos tombes. Surement, Dieu n'a
pas remue tant de choses pour ne rien faire; mais, franchement,
meritons-nous de voir de plus beaux jours, nous que rien n'a pu
convertir, je ne dis pas a la religion, mais au bon sens, et qui ne
sommes pas meilleurs que si nous n'avions vu aucuns miracles?
"Plusieurs personnes m'ont fait l'honneur de m'adresser la meme question
que je lis dans votre lettre: _Pourquoi n'ecrivez-vous pas sur l'etat
actuel des choses?_ Je fais toujours la meme reponse: du temps de la
_canaillocratie_, je pouvais, a mes risques et perils, dire leurs
verites a ces inconcevables souverains; mais, aujourd'hui, ceux qui se
trompent sont de trop bonne maison pour qu'on puisse se permettre de
leur dire la verite. La Revolution est bien plus terrible que du temps
de Robespierre; en s'elevant, elle s'est raffinee. La difference est
du mercure au sublime corrosif. Je ne vous dis rien de l'horrible
corruption des esprits; vous en touchez vous-meme les principaux
symptomes. Le mal est tel, qu'il annonce evidemment une explosion
divine. _Mais quand? mais comment? Ah! ce n'est pas a nous de connaitre
le temps_, etc."
Cette perspective d'une explosion prochaine etait devenue son idee fixe.
A le voir avec la tete haute toujours decouverte, ses beaux cheveux
blancs et son verbe ardent, enflamme, il avait l'air d'un prophete:
"C'est comme notre Etna, disait un jour un seigneur sicilien qui sortait
de causer avec lui, il a la neige sur la tete et le feu dans la bouche:
_Pare il nostro Etna: la neve in testa ed il fuoco in bocca_."
Peu de temps avant sa mort, il ecrivait a un de ses amis de France: "Je
sens que mon esprit et ma sante s'affaiblissent tous les jours. _Hic
jacet_, voila ce qui va bientot me rester de tous les biens de ce monde.
_Je finis avec l'Europe, c'est s'en aller en bonne compagnie_."--On
m'assure pourtant que ce fut six semaines seulement avant sa mort
qu'il ecrivit ce fameux portrait de Voltaire pour le mettre dans les
_Soirees_, au IVe Entretien deja compose.
Vers la fin de decembre 1820, de graves symptomes se declarerent; sa
demarche, ordinairement si ferme et si rapide, devint chancelante, et on
n'osait plus le laisser sortir seul: "Nous nous apercevions bien qu'il
perdait ses forces, ecrivait un temoin ami, mais nous etions loin de l
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