e pauvre jeune fille qui se meurt:
"La jeunesse disparaissant dans sa fleur a quelque chose de
particulierement terrible; on dirait que c'est une injustice. Ah! le
vilain monde! j'ai toujours dit qu'il ne pourrait aller si nous avions
le sens commun. Si nous venions a reflechir bien serieusement qu'une vie
commune de vingt-cinq ans nous a ete donnee pour etre partagee entre
nous, comme il plait a la loi inconnue qui mene tout, et que, si vous
atteignez vingt-six ans, c'est une preuve qu'un autre est mort a
vingt-quatre, en verite chacun se coucherait et daignerait a peine
s'habiller. C'est notre folie qui fait tout aller. L'un se marie,
l'autre donne une bataille, un troisieme batit, sans penser le moins
du monde qu'il ne verra point ses enfants, qu'il n'entendra pas le _Te
Deum_, et qu'il ne logera jamais chez lui. N'importe! tout marche, et
c'est assez."
En mai 1817, M. de Maistre disait adieu a Saint-Petersbourg, pour
rentrer dans, sa patrie. L'empereur Alexandre lui temoigna par mille
distinctions flatteuses et charmantes, comme il savait aisement les
rendre, tout le cas qu'il faisait de lui. Un des vaisseaux de la flotte,
qui partait alors pour la France, fut mis a sa disposition: "Une
circonstance aussi inattendue, ecrivait-il, m'envoie a Paris, ville
tres-connue, et que cependant, selon les apparences, je ne devais jamais
connaitre." Il y sejourna bien peu de temps: arrive a Paris le 24 juin,
il etait rendu a Turin le 22 aout. Toutes les dignites et les plus
hautes fonctions l'y attendaient. Independamment du titre de Premier
President, il eut la charge de ministre d'Etat et de regent de la
Grande-Chancellerie. Mais la face encore si incandescente de l'Europe et
le sol qui tremblait sur bien des points n'etaient pas propres a
donner du calme a ce noble esprit excite; ses illuminations sombres ne
faisaient que gagner en avancant: il avait de ces tristesses de Moise
et de tous les sublimes mortels qui ont trop vu. Dans une lettre du 5
septembre 1818 au chevalier de..., il ecrivait:
"Combien l'homme est malheureux! examinez bien; vous verrez que, depuis
l'age de la maturite, il n'y a plus de veritable joie pour lui.
Dans l'enfance, dans l'adolescence, on a devant soi l'avenir et les
illusions; mais, a mon age, que reste-t-il? On se demande: Qu'ai-je vu?
Des folies et des crimes. On se demande encore: Et que verrai-je? Meme
reponse, encore plus douloureuse. C'est a cette epoque surtout que tout
espoir nous est
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