maintenu, on peut l'affirmer, plus favorable a Bacon, s'il n'avait aussi
ete impatiente de tout ce qu'on a debite de lieux-communs a son propos.
C'est bien la l'effet, par exemple, que devait produire Garat, le
faiseur disert de prefaces et de programmes, a son cours des anciennes
Ecoles normales: il trouva moyen de mettre hors des gonds l'excellent
Saint-Martin, l'un des eleves, lequel, tout pacifique qu'il etait,
l'attaqua sur ses pretentions baconiennes avec chaleur et, qui plus
est, nettete, mais en rendant tout respect a Bacon [214].--Beaucoup
des paradoxes et des sorties de M. de Maistre sont ainsi (faut-il le
repeter?) les eclats d'un homme d'esprit impatiente d'avoir entendu
durant des heures force sottises, et qui n'y tient plus; les nerfs s'en
melent: il va lui-meme au dela du but, comme pour faire payer l'arriere
de son ennui.
[Note 214: Voir au tome III des Seances des _Ecoles normales_ (edit.
de 1801), page 113; Saint-Martin y marque energiquement combien personne
ne ressemble moins au simple et mince Condillac que l'ample et fertile
Bacon: "Quoiqu'il me laisse beaucoup de choses a desirer, il est
neanmoins pour moi, non-seulement moins repoussant que Condillac, mais
encore cent degres au-dessus... Je suis bien sur que j'aurais ete
entendu de lui, et j'ai lieu de croire que je ne l'aurais pas ete de
Condillac.... Aussi l'on voit bien qu'il vous gene un peu. Apres vous
etre etabli son disciple, vous n'approchez de son ecole que sobrement et
avec precaution."]
Cet examen de Bacon, publie seulement en 1836, aurait-il ete modifie,
complete, c'est-a-dire adouci par lui, s'il l'avait lui-meme donne au
public? On y sent, au ton de la querelle, un _tete-a-tete_ de cabinet et
toute la liberte du huis clos. On m'assure qu'il le considerait comme un
ouvrage termine, _sauf la preface qu'il avait dans la tete_, disait-il
toujours. Pensons du moins qu'il aurait soigneusement verifie sur place
tous les textes, afin d'eviter le reproche d'avoir quelquefois prete,
par aggravation, au sens de celui qu'il inculpait. Dans aucun de ses
livres d'ailleurs, M. de Maistre ne se montre plus brillamment et plus
profondement lui-meme. Les chapitres des _causes finales_ et de l'_union
de la religion et de la science_ renferment sur l'ordre et la proportion
de l'univers, sur l'art, sur la peinture chretienne, sur le beau,
quelques-unes, certes, des plus belles pages qui aient jamais ete
ecrites dans une langue humaine. On y lit cett
|