pari: il
s'agissait de reciter tout un livre de _l'Eneide_, le lendemain, en
presence du college assemble. M. de Maistre ne fit pas une faute et
l'emporta. En 1818, un vieil ecclesiastique rappelait au comte Joseph
cet exploit de college: "Eh bien! cure, lui repondit-il, croiriez-vous
que je serais homme a vous reciter sur l'heure ce meme livre de
_l'Eneide_ aussi couramment qu'alors?" Telle etait la force d'empreinte
de sa memoire; rien de ce qu'il y avait depose et classe ne s'effacait
plus. Il avait coutume de comparer son cerveau a un vaste casier a
tiroirs numerotes qu'il tirait selon le cours de la conversation, pour
y puiser les souvenirs d'histoire, de poesie, de philologie et de
sciences, qui s'y trouvaient en reserve. Cette puissance, cette capacite
de memoire, quand elle ne fait pas obstruction et qu'elle obeit
simplement a la volonte, est le propre de toutes les fortes tetes, de
tous les grands esprits.
[Note 185: Je ne crois pas commettre une indiscretion et je remplis un
devoir rigoureux de reconnaissance en declarant que je dois infiniment,
pour toute cette premiere partie de mon travail, a M. le comte Eugene de
Costa, compatriote de M. de Maistre; mais je crois sentir encore plus
qu'envers d'aussi delicates natures la seule maniere de reconnaitre ce
qu'on leur doit est d'en bien user.]
Et pour suivre l'image: plus le casier est plein, plus les tiroirs
nombreux, separes par de minces et impenetrables cloisons, prets a se
mouvoir chacun independamment des autres et a ne s'ouvrir que dans la
mesure ou on le veut, et mieux aussi la tete peut se dire organisee.
A vingt ans, M. de Maistre avait pris tous ses grades a l'universite
de Turin. L'annee suivante, en 1774, il entra comme
substitut-avocat-fiscal-general surnumeraire (c'est le titre exact) au
senat de Savoie, et il suivit les divers degres de cette carriere du
ministere public jusqu'a ce qu'en avril 1788 il fut promu au siege de
senateur, comme qui dirait conseiller au parlement: c'est dans cette
position que la Revolution francaise le saisit. Des renseignements
puises a la meilleure des sources nous permettent d'assurer qu'il etait
entre dans cette vie parlementaire et magistrale un peu contre son gout,
mais qu'il s'y voua par devoir. Son emotion, toutes les fois qu'il
s'agissait d'une condamnation capitale, etait vive: il n'hesitait pas
dans la sentence quand il la croyait dictee par la conscience et par la
verite; mais ses scrupules, son anxie
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