vous arriverait
d'etre particulierement estimes et cheris par la C. N. elle-meme. Tout
le monde ne sait-il pas qu'on aime les gens fideles partout ou ils
se trouvent? Quand il y a de la revolte, de l'impertinence ou de
l'insurgerie, a la bonne heure que les maitres se fachent; mais quand on
parle poliment, chacun est libre de dire sa raison; on peut tirer son
chapeau devant le drapeau tricolore et dire qu'on a de l'amitie pour la
croix blanche. Par Dieu! chacun a son gout peut-etre!--En disant qu'on
aime les poires, meprise-t-on les pommes?
Si la C. N. vous gardait meme apres cette declaration, elle vous
aimerait comme ses yeux; c'est moi qui vous le dis.
Mais ce n'est pas tout. Quand meme nous demeurerions Francais, il ne
faut pas croire que ce fut pour longtemps; un peu plus tot, un peu plus
lard, la chose volee revient toujours a son maitre. La Savoie est au
roi de Sardaigne depuis huit cents ans, personne ne peut lui faire une
anicroche la-dessus; pourquoi la lui garderait-on? Parce qu'on la lui
a prise, apparemment. Quelle chienne de raison! Demandez au tribunal
criminel du district, vous verrez ce qu'il vous en dira.
La Savoie a bien ete prise d'autres fois. On l'a gardee trois ans, cinq
ans, sept ans, trente ans, mais toujours elle est revenue. Il en sera de
meme cette fois.
Le roi de France qui etait avant celui qui etait avant le dernier, fut
un grand fier-a-bras, a ce que tout le monde dit: c'est une chose sure
qu'il faisait peur a tout le monde, et cependant, quoiqu'il convoitat la
Savoie et qu'il s'evertuat beaucoup pour l'avoir, il ne put jamais en
passer son envie.
Dans ma jeunesse, je ne comprenais pas pourquoi notre petite Savoie
n'etait pas une province de France, et comment cette _drumille_ avait pu
vivre si longtemps a cote d'un gros brochet sans etre croquee; mais, en
y pensant depuis, j'ai vu combien feu ma grand'mere avait raison quand
elle me disait: _Jean-Claude, mon ami, quand tu< ne comprends pas
quelque chose, fie-toi a celui qui a fait le manche des cerises_.
La Savoie n'est pas a la France parce qu'il ne faut pas qu'elle soit a
la France. Si les Francais la possedaient, l'Italie serait flambee; ils
batiraient dans notre pays des forteresses a tout bout de champ; ils
feraient des chemins larges comme la grande allee du _Verney_ jusque sur
nos plus hautes montagnes.[194] A la place de l'hospice Saint-Bernard, ou
l'on donne la soupe aux pelerins, il y aurait une bonne citadelle avec
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