vos trones!"
Le contre-coup retentit en Savoie; la, ce n'aurait ete qu'une querelle
de famille; mais Paris convoite les pauvres montagnes: un petit nombre
de _scelerats_ (je copie) repond au cri d'appel. Le roi, se croyant
menace, arme. Le 22 septembre 1792, la Savoie est envahie par
l'armee francaise, et le Piemont pres de l'etre. Apres la defense du
Saint-Bernard (1793), Eugene, grievement malade, court des dangers: il
semblait "que la Providence voulut tenir ses parents continuellement en
alarmes sur lui et, pour ainsi dire, les _accoutumer a le perdre_." Il
passe les quartiers d'hiver de 93-94 a Asti. Mais le genie de Bonaparte
prelude deja a ses prochaines destinees d'Italie, et dicte les
operations de la campagne qui va s'ouvrir.[190] Des le 6 avril 94, eclate
l'attaque generale des Francais sur toute la chaine du comte de Nice. Le
27, Eugene, se trouvant avec sa compagnie au sommet de la _Saccarella_,
qui domine le _Col-Ardent_, marche a l'attaque de ce dernier poste, et y
recoit une balle a la jambe; ses grenadiers l'emportent; trois semaines
apres, a Turin, il succombe des suites de sa blessure.--Au moment de sa
mort, "son ame, _naturellement chretienne_, se tourna vers le Ciel... Il
pria pour ses parents, les nomma tous et ne plaignit qu'eux."
[Note 190: _Memoires_ de Napoleon, tome I, page 61.]
Un passage du recit rend avec beaute ce tableau des morts chretiennes
dont on etait desaccoutume depuis si longtemps en notre litterature,
et que le genie de M. de Chateaubriand, quelques annees apres, devait
remettre en si glorieux et si pathetique honneur:
"L'orage de la Revolution avait pousse jusqu'a Turin un solitaire de
l'ordre de la Trappe. L'homme de Dieu, present a ce spectacle, defendait
de la part du Ciel la tristesse et les pleurs. Separe de la terre avant
le temps, il ne pouvait plus descendre jusqu'aux faiblesses de la
nature; il accusait nos voeux indiscrets et notre tendresse cruelle; il
n'osait point unir ses prieres aux notres: il ne savait pas s'il etait
permis de desirer la guerison de l'ange. Son enthousiasme religieux
effraya celle qui vous remplacait aupres de votre fils (une belle-soeur
de Mme de Costa); elle pria l'anachorete exalte de diriger ailleurs ses
pensees et de ne former aucun voeu dans son coeur, _de peur que son
desir ne fut une priere_: beau mouvement de tendresse, et bien digne
d'un coeur parent de celui d'Eugene!"
L'auteur adresse et approprie a son heros cette apostroph
|