etait le mal qu'elle me faisait a moi-meme_. Vous m'exhortates
a pardonner, a rendre le bien pour le mal, a _montrer a ceux qui me
haissaient leur injustice, en leur prouvant mes vertus, a les forcer
ainsi a l'admiration, a la reconnaissance_, et vous m'assurates du plus
beau triomphe qu'une ame genereuse put souhaiter... J'eus le bonheur de
pleurer et bientot le courage de combattre. Ce combat ne fut pas long,
ni meme bien penible... Je l'ai remporte, ce triomphe, il est complet.
La serenite rentree dans mon ame se peignit bientot dans mes regards,
et je vois deja dans les yeux de ceux que j'appelais mes ennemis
un etonnement et un sentiment de regret, de honte et de compassion
bienveillante qui va presque a l'admiration et au respect... je suis
heureux, bien heureux. Un seul regret eut encore un peu altere ce
bonheur; ma reconnaissance pour mon guide, pour mon bienfaiteur, m'eut
pese, si je n'avais pu la lui faire connaitre..."
Rentre a la Chambre des pairs au moment ou M. Decazes usait de sa faveur
pour ramener du moins quelque conciliation entre tant de violences
contradictoires, M. de Segur passa les onze dernieres annees de sa vie
dans un loisir occupe, dans les travaux ou les delassements litteraires,
entremeles aux devoirs politiques que les circonstances d'alors
imposaient a tous les hommes d'un liberalisme eclaire. Le succes de
ses _Memoires_ fut grand et dut le tenter a une continuation que tous
desiraient: ce fut peut-etre bon gout a lui de laisser les lecteurs sur
ce regret et d'en rester pour son compte aux annees brillantes et sans
melange. Ce fut a coup sur une noble action que de se refuser a quelques
instances plus pressantes; le libraire-editeur ne lui demandait qu'un
quatrieme volume qu'il aurait intitule _Empire_. La somme qu'il offrait
etait telle que le permettaient alors les ressources opulentes de la
librairie et le concert merveilleux de l'interet public: trente billets
de 1,000 fr. le jour de la remise du manuscrit. M. de Segur n'hesita
point un moment: "Je dois tout a l'Empereur, disait-il dans l'intimite;
quoique je n'aie que du bien personnel a en dire, il y aurait des
faits toutefois qui seraient inevitables; il y en aurait d'autres qui
seraient mal interpretes et qui pourraient actuellement servir d'arme
a ses ennemis et tourner contre sa memoire.--Oh! plus tard, je ne dis
pas."
M. de Segur mourut[180] au lendemain du triomphe de Juillet. Quinze jours
auparavant, un matin, sur son can
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