ontraints;
il l'avait accueillie avec transport, et nous le retrouvons a Dijon,
durant les deux annees qui suivent, prenant, a cote de son ami Brugnot
et meme apres sa mort, une part active et, pour tout dire, ardente, au
_Patriote de la Cote-d'Or_. Le reveil ne fut que plus rude; ce _coup de
collier_ en politique l'avait mis tout hors d'haleine; l'artiste en lui
sentait le besoin de respirer. Par malheur, la litterature elle-meme
avait fait tant soit peu naufrage dans la tempete, et si Bertrand avait
recherche de ce cote la place du doux nid melodieux, il ne l'aurait plus
trouvee. Mais il ne parait pas s'etre soucie de renouer les anciennes
relations; le hasard seul nous le fit rencontrer une ou deux fois en ces
dix annees; il s'evanouissait de plus en plus.
Que faisait-il? a quoi revait-il? Aux memes songes sans doute, aux
eternels fantomes que, par contraste avec la realite, il s'attachait
a ressaisir de plus pres et a embellir. Il avait repris ses bluettes
fantastiques; il les caressait, les remaniait en mille sens, et en
voulait composer le plus mignon des chefs-d'oeuvre. On sait, dans
l'antique eglogue, le joli tableau de cet enfant qui est tout occupe a
cueillir des brins de jonc et a les tresser ensemble, pour en faconner
une cage a mettre des cigales. Eh bien! Bertrand etait un de ces
preneurs de cigales; et pour entiere ressemblance, comme ce petit berger
de Theocrite, il ne s'apercut pas que durant ce temps le renard lui
mangeait le dejeuner.
"ITEM, _il faut vivre_," comme le repetait souvent un poete notaire de
campagne que j'ai connu. La vie materielle revenait chaque jour avec
ses exigences, et, si sobres, si modiques que fussent les besoins de
Bertrand, il avait a y pourvoir. Je ne suivrai point le pauvre poete en
peine dans la quantite de petits journaux oublies auxquels, ca et la, il
payait et demandait l'obole. Un drame fantastique, ou, comme il l'avait
intitule, un _drame-ballade_, fut presente par lui a M. Harel, directeur
de la Porte-Saint-Martin, qui exprima le regret de ne pouvoir l'adaptera
son theatre. Un moment il sembla que l'existence de Bertrand allait se
regler: il devint secretaire de M. le baron Roederer, qui connaissait de
longue main sa famille, et qui eut pour lui des bontes. Mais Bertrand,
a ce metier du reve, n'avait guere appris a se trouver capable d'un
assujettissement regulier. Et puis, lui rendre service n'etait pas
chose si facile. Content de peu et avide de l'infini, il ava
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