ique! avoir vingt ans en 1774, quand on tenait
a Versailles et a la cour, c'etait moins grandiose, mais bien flatteur
encore: on avait la devant soi quinze annees a courir d'une vive,
eblouissante et fabuleuse jeunesse.
M. de Segur nous fait toucher en mainte page de ses _Memoires_ la
reunion de circonstances favorables qui rendait comme unique dans
l'histoire ce moment d'illusion et d'esperance. La litterature du XVIIIe
siecle avait ete presque en entier consacree a etablir dans l'opinion
les droits des peuples, a retrouver et a promulguer les titres du genre
humain. Les classes privilegiees avaient, les premieres, accepte avec
ardeur ces doctrines grandissantes qui les atteignaient si directement:
c'etait generosite a elles, et l'on aime en France a etre genereux. La
jeune noblesse, en particulier, se piquait de marcher en avant et de
sacrifier de plein gre ce que nul, en fait, ne lui contestait a cette
heure et ce que cette bonne grace en elle relevait singulierement. Elle
manifestait son adoption des idees nouvelles par toutes sortes d'indices
plus ou moins frivoles, par l'anglomanie dans les modes, par la
simplicite du _frac_ et des costumes: "Consacrant tout notre temps, dit
M. de Segur, a la societe, aux fetes, aux plaisirs, aux devoirs peu
assujettissants de la cour et des garnisons, nous jouissions a la fois
avec incurie, et des avantages que nous avaient transmis les anciennes
institutions, et de la liberte que nous apportaient les nouvelles
moeurs: ainsi ces deux regimes flattaient egalement, l'un notre vanite,
l'autre nos penchants pour les plaisirs.
"Retrouvant dans nos chateaux, avec nos paysans, nos gardes et nos
baillis, quelques vestiges de notre ancien pouvoir feodal, jouissant a
la cour et a la ville des distinctions de la naissance, eleves par notre
nom seul aux grades superieurs dans les camps, et libres desormais de
nous meler sans faste et sans entraves a tous nos concitoyens pour
gouter les douceurs de l'egalite plebeienne, nous voyions s'ecouler ces
courtes annees de notre printemps dans un cercle d'illusions et dans une
sorte de bonheur qui, je crois, en aucun temps, n'avait ete destine qu'a
nous. Liberte, royaute, aristocratie, democratie, prejuges, raison,
nouveaute, philosophie, tout se reunissait pour rendre nos jours
heureux, et jamais reveil plus terrible ne fut precede par un sommeil
plus doux et par des songes plus seduisants."
Ainsi on ne se privait de rien en cet age d'or rapide;
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