de rarete
refleurie. La plupart de nos poetes agreables du XVIIIe siecle se
trouvent aujourd'hui dans ce cas; ils ne sont pas encore passes a l'etat
de poetes du XVIe. Il y a la, pour les noms qui survivent, un age
intermediaire, ingrat, qui ne sollicite plus l'interet et appelle plutot
une severite injuste et extreme, a peu pres comme, pour les vivants, cet
espace assez maussade qui s'etend entre la premiere moitie de la vie
et la vieillesse. On n'a plus du tout la fleur; on n'est pas encore
respecte et consacre. La renommee posthume des poetes a aussi sa
cinquantaine.
Leonard y echappera aujourd'hui. Sa destinee incomplete et touchante,
revenant se dessiner, comme sur un fond de tableau funebre, dans le
malheur commun des siens, rappellera l'interet qu'elle merita d'inspirer
tout d'abord, et nul ici ne s'avisera de reprocher l'indulgence.
Nicolas-Germain Leonard, ne a la Guadeloupe en 1744, vint tres-jeune
en France, y passa la plus grande partie des annees de sa vie, mais il
retourna plusieurs fois dans sa patrie premiere. Absent, il y pensa
toujours; elle exerca sur lui, a distance et a travers toutes les
vicissitudes de fortune, une attraction puissante et pleine de secretes
alternatives. Il mettait le pied sur le vaisseau qui devait l'y ramener
encore, lorsqu'il expira.
Leonard avait dix-huit ans lorsque parut en France (1762) la traduction
des Idylles de Gessner par Huber, laquelle obtint un prodigieux succes
et enflamma beaucoup d'imaginations naissantes. Les journaux, les
recueils du temps, les etrennes et almanachs des Muses furent inondes de
traductions et imitations en vers, d'apres la version en prose. Gessner,
le libraire-imprimeur de Zurich, devint une des idoles de la jeunesse
poetique, comme cet autre imprimeur Richardson pour sa _Clarisse_. De
tels contrastes flattaient les gouts du XVIIIe siecle, qui etait dans
la meilleure condition d'ailleurs pour adorer l'idylle a laquelle ses
moeurs se rapportaient si peu. On eut alors en litterature comme la
monnaie de Greuze. Parmi la foule des noms, aujourd'hui oublies, qui se
firent remarquer par l'elegance et la douceur des imitations, Leonard
fut le premier en date et en talent, Berquin le second. L'idylle, telle
que la donnait Gessner et que la reproduisait Leonard, etait simplement
la pastorale dans le sens restreint du genre. Le genre idyllique, en
effet, peut se concevoir d'une maniere plus etendue, plus conforme, meme
dans son ideal, a la realite
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