le, et peignes comme des broussailles, ses mains decharnees,
pareilles a des ossuaires, sa physionomie narquoise, chafouine et
maladive, qu'effilait "une barbe nazareenne; et mes conjectures
l'avaient charitablement range parmi ces artistes au petit-pied, joueurs
de violon et peintres de portraits, qu'une faim irrassasiable et
une soif inextinguible condamnent a courir le monde sur la trace du
Juif-errant." Nous vimes simplement alors un grand et maigre jeune
homme de vingt et un ans, au teint jaune et brun, aux petits yeux
noirs tres-vifs, a la physionomie narquoise et fine sans doute, un peu
chafouine peut-etre, au long rire silencieux. Il semblait timide ou
plutot sauvage. Nous le connaissions a l'avance, et nous crumes d'abord
l'avoir apprivoise. Il nous recita, sans trop se faire prier, et d'une
voix sautillante, quelques-unes de ses petites ballades en prose, dont
le couplet ou le verset exact simulait assez bien la cadence d'un
rhythme: on en a eu l'application, depuis, dans le livre traduit des
_Pelerins polonais_ et dans les _Paroles d'un Croyant_. Bertrand nous
recita, entre autres, la petite drolerie gothique que voici, laquelle se
grava a l'instant dans nos memoires, et qui etait comme un avant-gout en
miniature du vieux Paris considere magnifiquement du haut des tours de
Notre-Dame:
LE MACON.
LE MAITRE MACON:--"Regardez ces bastions, ces contre-forts: on les
dirait construits pour l'eternite."
(Schilleb.--_Guillaume Tell_.)
Le macon Abraham Knupfer chante, la truelle a la main, dans les airs
echafaude, si haut que, lisant les vers gothiques du bourdon, il nivelle
de ses pieds et l'eglise aux trente arcs-boutants et la ville aux trente
eglises.
Il voit les tarasques de pierre vomir l'eau des ardoises dans l'abime
confus des galeries, des fenetres, des pendentifs, des clochetons, des
tourelles, des toits et des charpentes, que tache d'un point gris l'aile
echancree et immobile du tiercelet.
Il voit les fortifications qui se decoupent en etoile, la citadelle qui
se rengorge comme une geline dans un tourteau, les cours des palais ou
le soleil tarit les fontaines, et les cloitres des monasteres ou l'ombre
tourne autour des piliers.
Les troupes imperiales se sont logees dans le faubourg. Voila qu'un
cavalier tambourine la-bas. Abraham Knupfer distingue son chapeau a
trois cornes, ses aiguillettes de laine rouge, sa cocarde traversee
d'une ganse, et sa queue nouee d'un ruban.
Ce qu'il voit encor
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