, il partit l'annee
suivante pour les colonies, ou il passa trois annees, apres lesquelles
on le retrouve a Paris en 1787, pret a repartir de nouveau pour la
Guadeloupe, mais cette fois avec le titre de lieutenant general de
l'Amiraute et de vice-senechal de l'ile. Ainsi la sirene des tropiques
l'appelait et le repoussait tour a tour. Des qu'il s'en eloignait,
elle reprenait a ses veux tout son charme: telle l'Ile-de-France pour
Bernardin de Saint-Pierre, qui de pres l'aima peu, et qui ne nous l'a
peinte si belle que de souvenir. Mais pour Leonard, c'etait plus. Il
semblait en verite que la patrie fut pour lui la Guadeloupe quand il
etait en France, et la France quand il etait a la Guadeloupe. Celle des
deux patries qu'il retrouvait devenait vite son exil; le mal du pays en
lui ne cessait pas. _Romoe Titur amem ventosus, Tibure Romam_. En ses
meilleurs jours, il est pareil encore a ce pasteur de Sicile, dont il
emprunte la chanson a Moschus, et auquel il se compare: si la mer est
calme, le voila qui convoite le depart et le voyage aux iles Fortunees;
mais, des que le vent s'eleve, il se reprend au rivage, a aimer les
bruits du pin sonore et l'ombre sure du vallon.
Chacun, plus ou moins, est ainsi; chacun a son reve, sa patrie d'au
dela, son ile du bonheur. Plus heureux peut-etre quand on n'y aborde
jamais! on y croit toujours. Pour Leonard, cette ile avait un nom; il y
alla, il en revint, il y retourna pour en revenir encore. Dans cette ame
imbue des idees philanthropiques de son siecle, les desappointements
furent grands, on le concoit, surtout lorsqu'il eut a exercer des
fonctions austeres, a maintenir et a distribuer la justice. Ses
fonctions diplomatiques elles-memes ne l'y avaient guere prepare. Lui
dont tout le code semblait se resumer d'un mot: _Et moi aussi, je suis
pasteur en Arcadie_, il se trouve brusquement transforme en Minos,
siegeant, glaive en main, sur un tribunal. La revolution de 89 ne manqua
pas d'avoir la-bas son contre-coup, et de susciter des tentatives
d'anarchie. Leonard faillit etre assassine; il parait meme qu'il
n'echappa que blesse. Degoute encore une fois et de retour en France
au printemps de 1792, il exhalait a l'ombre du bois de Romainville
ses tristesses dernieres, en des stances qui rappellent les plus doux
accents de Chaulieu et de Fontanes; elles sont peu connues, et la
generation nouvelle voudra bien me pardonner de les citer assez au long,
car ce qui est du coeur ne vieillit pas.
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