avira jusqu'a mes larmes.
C'etait la le chant de bienvenue qu'il adressait a la France de 92, a
cette France du 20 juin, et tout a l'heure du 10 aout, du 2 septembre!
il ne tarda pas a se rendre compte de l'anachronisme. On a dit
tres-spirituellement des bergeries de Florian qu'il y manquait _le
loup_. S'il est absent aussi dans les idylles de Leonard, ce n'est pas
que le poete ne l'ait certainement apercu. Il s'est ecrie en finissant:
Aux champs comme aux cites, l'homme est partout le meme,
Partout faible, inconstant, ou credule, ou pervers,
Esclave de son coeur, dupe de ce qu'il aime:
Son bonheur que j'ai peint n'etait que dans mes vers.
Chose singuliere! et comme pour mieux verifier sa maxime, l'agitation de
son coeur le reprit. Ces contrees qu'il venait presque de maudire, ou la
haine l'a poursuivi, ou le rossignol ne chante pas, il veut tout d'un
coup les revoir. Un mal etrange le commande; rien ne le retient; ses
amis ont beau s'opposer a un voyage que sa sante delabree ne permet
plus: il part pour Nantes, et y expire le 26 janvier 93, le jour meme
fixe pour son embarquement. Il avait quarante-huit ans.
Comme Florian, comme Legouve, comme Millevoye, comme bien des talents de
cet ordre et de cette famille, Leonard ne put franchir cet age critique
pour l'homme sensible, pour le poete aimable, et qui a besoin de la
jeunesse. Il ne reussit pas a s'en detacher, a laisser mourir ou
s'apaiser en lui ses facultes aimantes et tendres; il mourut avec
elles et par elles. Lorsque tant d'autres assistent et survivent a
l'affaiblissement de leur sensibilite, a la decheance de leur coeur, il
resta en proie au sien, et son nom s'ajoute, clans le martyrologe des
poetes, a la liste de ces infortunes frequentes, mais non pas vulgaires.
Sa reputation modeste, et qui eut demande pour s'etablir un peu de
silence, s'est trouvee comme interceptee dans les grands evenements
qui ont suivi. Au sortir de la Revolution, un homme de gout, un poete
gracieux, M. Campenon, a pieusement recueilli les Oeuvres completes de
l'oncle qui fute son premier maitre et son ami. Passant a la Guadeloupe
quelques annees apres la mort de Leonard, une jeune muse, qui n'est
autre que madame Valmore, semble avoir recueilli dans l'air quelques
notes, devenues plus brulantes, de son souffle melodieux. Qu'aujourd'hui
du moins l'horrible ebranlement qui retentit jusqu'a nous aille
reveiller un dernier echo sur sa pierre longtemps muette! que cet
ince
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