ie, Piron, au XVIe siecle Tabourot; ils ont l'accent.
Bertrand, a sa maniere, tient d'eux, et jusque dans son romantisme il
suit leur veine. Le Dijon qu'il aime sans doute est celui des ducs,
celui des chroniques rouvertes par Walter Scott et M. de Barante, le
Dijon gothique et chevaleresque, plutot que celui des bourgeois et des
vignerons; pourtant il y mele a propos la plaisanterie, la _gausserie_
du cru, et, sous air de Callot et de Rembrandt, on y retrouve du piquant
des vieux _noels_. Son originalite consiste precisement a avoir voulu
relever et enfermer sous forme d'art severe et de fantaisie exquise ces
filets de vin clairet, qui avaient toujours jusque-la coule au hasard et
comme par les fentes du tonneau.
Destinee bizarre, et qui denote bien l'artiste! il passa presque toute
sa vie, il usa sa jeunesse a ciseler en riche matiere mille petites
coupes d'une delicatesse infinie et d'une invention minutieuse, pour y
verser ce que nos bons aieux buvaient a meme de la gourde ou dans le
creux de la main.
Il achevait ses etudes en 1827, et deja la poesie le possedait tout
entier. Dijon et ses antiquites heroiques, et cette fraiche nature
peuplee de legendes, emplissaient son coeur. Les bords de la Suzon
et les prairies de l'Armancon le captivaient. La nuit, aux grottes
d'Asnieres, bien souvent, lui et quelques amis allaient effrayer les
chauves-souris avec des torches et pratiquer un gai sabbat. Un journal
distingue paraissait alors a Dijon et y tentait le meme role honorable
que remplissait _le Globe_, a Paris. _Le Provincial_, redige par M.
Theophile Foisset (l'historien du president de Brosses), surtout par
Charles Brugnot, poete d'une vraie valeur, enleve bien prematurement
lui-meme en septembre 1831, ouvrit durant quelques mois ses colonnes
aux essais du jeune Bertrand[164]. Je retrouve la le premier jet et la
premiere forme de tout ce qu'il n'a fait qu'augmenter, retoucher et
repolir depuis. C'est dans ce journal qu'il dediait a l'auteur des _Deux
Archers_, a l'auteur de _Trilby_, les jolies ballades en prose dont la
facon lui coutait autant que des vers. Les vers non plus n'y manquaient
pas; je lis, a la date du 10 juillet, _la Chanson du Pelerin qui heurte,
pendant la nuit sombre et pluvieuse, a l'huis d'un chatel_; elle etait
adressee _au gentil et gracieux trouvere de Lutece, Victor Hugo_, et
pouvait sembler une allusion ou requete poetique ingenieuse:
[Note 164: Le premier numero, qui parut le 1er mai 18
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