d'outre-Manche:
on s'occupait alors en effet de Richardson et meme de Shakspeare a
Londres beaucoup moins qu'a Paris: "Encore un coup, lui ecrit Fontanes,
la patrie de l'imagination est celle ou vous etes ne. Pour Dieu, ne
calomniez point la France a qui vous pouvez faire tant d'honneur." Et
il l'engage a choisir dorenavant dans Shakspeare, mais a, relire toute
_Athalie_. M. Joubert, a cette epoque, suivait avec ardeur ce mouvement
aventureux d'innovation que prechaient Le Tourneur par ses prefaces,
Mercier par ses brochures. Il etait de cette jeunesse _delirante_ contre
qui La Harpe fulminait. Il avait charge Fontanes de prendre je ne
sais quelle information sur le nombre d'editions et de traductions,
a Londres, du _Paysan perverti_, et son ami lui repondait: "Assurez
hardiment que le conte des quarante editions du _Paysan perverti_ est du
meme genre que celui des armees innombrables qui sortaient de Thebes aux
cent portes... Les deux romans francais dont on me parle sans cesse,
c'est _Gil Blas_ et _Marianne_, et surtout du premier." M. Joubert avait
peine a accepter cela. Il se debarrassa vite pourtant de ce qui n'etait
pas digne de lui dans ce premier enthousiasme de la jeunesse; cette boue
des Mercier et des Retif ne lui passa jamais le talon: il realisa de
bonne heure cette haute pensee: "Dans le tempere, et dans tout ce qui
est inferieur, on depend malgre soi des temps ou l'on vit, et, malgre
qu'on en ait, on parle comme tous ses contemporains. Mais dans le beau
et le sublime, et dans tout ce qui y participe en quelque sorte que ce
soit, on sort des temps, on ne depend d'aucun, et, dans quelque siecle
qu'on vive, on peut etre parfait, seulement avec plus de peine en
certains temps que dans d'autres." Il devint un admirable juge du style
et du gout francais, mais avec des hauteurs du cote de l'antique qui
dominaient et deroutaient un peu les perspectives les plus rapprochees
de son siecle.
Bien avant De Maistre et ses exagerations sublimes, il disait de
Voltaire:
"Voltaire a, comme le singe, les mouvements charmants et les traits
hideux."
"Voltaire avait l'ame d'un singe et l'esprit d'un ange."
"Voltaire est l'esprit le plus debauche, et ce qu'il y a de pire, c'est
qu'on se debauche avec lui."
"Il y a toujours dans Voltaire, au bout d'une habile main, un laid
visage."
"Voltaire connut la clarte, et se joua dans la lumiere, mais pour
l'eparpiller et en briser tous les rayons comme un mechant."
Je ne
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