ons d'assez pres dans les annees
suivantes par de charmantes lettres a Fontanes, son plus vieil ami,
qu'il retrouvait, apres la separation de la Terreur, avec la vivacite
d'une reconnaissance:
"Je melerai volontiers mes pensees avec les votres, lorsque nous
pourrons converser; mais, pour vous rien ecrire qui ait le sens commun,
c'est a quoi vous ne devez aucunement vous attendre. J'aime le papier
blanc plus que jamais, et je ne veux plus me donner la peine d'exprimer
avec soin que des choses dignes d'etre ecrites sur de la soie ou sur
l'airain. Je suis menager de mon encre; mais je parle tant que l'on
veut. Je me suis prescrit cependant deux ou trois petites reveries dont
la continuite m'epuise. Vous verrez que quelque beau jour j'expirerai au
milieu d'une belle phrase et plein d'une belle pensee. Cela est d'autant
plus probable, que depuis quelque temps je ne travaille a exprimer que
des choses inexprimables."
Comme ceci est tout a fait inedit et pourra s'ajouter heureusement a une
reimpression des _Pensees_, je ne crains pas de transcrire: c'est un
regal que de telles pages. M. Joubert continue de s'analyser lui-meme
avec une sorte de delices qui sent son voisin bordelais du XVIe siecle,
le discoureur des _Essais_:
"Je m'occupais ces jours derniers a imaginer nettement comment etait
fait mon cerveau. Voici comment je le concois: il est surement compose
de la substance la plus pure et a de hauts enfoncements; mais ils ne
sont pas tous egaux. Il n'est point du tout propre a toutes sortes
d'idees; il ne l'est point aux longs travaux.
"Si la moelle en est exquise, l'enveloppe n'en est pas forte. La
quantite en est petite, et ses ligaments l'ont uni aux plus mauvais
muscles du monde. Cela me rend le gout tres-difficile et la fatigue
insupportable. Cela me rend en meme temps opiniatre dans le travail,
car je ne puis me reposer que quand j'atteins ce qui m'echappe. Mon ame
chasse aux papillons, et cette chasse me tuera. Je ne puis ni rester
oisif, ni suffire a mes mouvements. Il en resulte (pour me juger en
beau) que je ne suis propre qu'a la perfection. Du moins elle me
dedommage lorsque je puis y parvenir, et, d'ailleurs, elle me repose en
m'interdisant une foule d'entreprises; car peu d'ouvrages et de matieres
sont susceptibles de l'admettre. La perfection m'est analogue, car elle
exige la lenteur autant que la vivacite. Elle permet qu'on recommence et
rend les pauses necessaires. Je veux, vous dis-je, etre parfai
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