pes au-dela des mers, ou de leur
marche au travers des pays habites par des peuples barbares, ennemis ou
suspects; le mauvais succes de tant de semblables entreprises, ou les
plus belles et les plus nombreuses armees avaient peri, partie par le
fer, partie par la famine ou par les maladies.
La reine avait attire l'eveque de Paris dans son sentiment; et, comme
c'etait lui qui avait donne la croix au roi dans sa maladie, il vint le
trouver avec la reine. Ce sage prelat employa en vain tout ce que la
raison a de plus convaincant, et l'eloquence de plus seduisant. Louis
parut touche, mais il ne fut point ebranle. "Eh bien! dit-il, la voila,
cette croix que j'ai prise dans une circonstance ou, selon vous, je
n'avais pas une entiere liberte d'esprit. Je vous la remets; mais en
meme temps, si vous etes mes amis, et si j'ai quelque pouvoir sur vous,
ne me refusez pas la grace que je vous demande: c'est de recevoir le
voeu que je fais de nouveau d'aller combattre les infideles. Pouvez-vous
douter que je n'aie actuellement toute la connaissance requise pour
contracter un engagement? Rendez-moi donc cette sainte croix; il y va de
ma vie. Je vous declare que je ne prendrai aucune nourriture que je
ne me revoie possesseur de cette precieuse marque de la milice du
Seigneur." Personne n'osa repliquer. Chacun se retira en versant des
larmes, et l'on ne pensa plus qu'a seconder les soins que le monarque
prenait de hater l'execution d'un dessein qui paraissait venir de Dieu.
Pour augmenter le tresor que le roi avait amasse dans cette vue, on
imposa une taxe sur tout le clerge, tant seculier que regulier: elle
etait de la dime de leur revenu, ce qui causa de grands murmures dans
ce corps, qui avait jusque-la fort applaudi a la croisade, mais dont le
zele n'allait pas toujours jusqu'au parfait desinteressement[1]. Ils
etaient encore fort choques de ce que cette levee se faisait par les
commissaires du pape, qui imposaient en meme temps une autre taxe pour
avoir de quoi se maintenir contre l'empereur. Mais le roi, sur les
remontrances qu'on lui fit, empecha cette seconde levee, ne voulant pas,
disait-il, qu'on appauvrit les eglises de son royaume, pour faire la
guerre a des chretiens: c'est-a-dire a l'empereur. En vain Innocent lui
envoya plusieurs legats pour le supplier de lui permettre au moins de
faire un emprunt sur les eveques; il fut inflexible, et le bien de ses
sujets l'emporta dans son coeur sur le respect qu'il eut toute sa vie
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