eption. Il soumet Dieu a la
justice, et pour l'y mieux soumettre il l'y confond. "S'il y a un Dieu,
il faut necessairement qu'il soit juste.... [43]." Il ne veut pas de
la fatalite, qui est un despotisme bete; il ne voudrait pas d'un Dieu
arbitraire, qui lui semblerait un despotisme capricieux: "Ceux qui
ont dit qu'une fatalite aveugle gouverne le monde ont dit une grande
absurdite"[44]; mais ceux-la aussi lui sont insupportables "qui
representent Dieu comme un etre qui fait un exercice tyrannique de
sa puissance"[45]. Reste qu'il croit a un Dieu tres abstrait, qui ne
differe pas sensiblement de la loi supreme nee de lui[46]. Il s'amuse,
dans une des _Persanes_, a dire que si les triangles avaient un Dieu, il
aurait trois cotes. Il fait un peu comme les triangles. Par horreur
du despotisme, il voudrait mettre a la place de la Divinite une
constitution. Il ne la voit guere que comme l'essence des regles
eternelles. Pour Montesquieu, Dieu, c'est l'Esprit des Lois.
[Note 43: _Persanes_, LXXXIII. ]
[Note 44: _Esprit_, L 1.]
[Note 45: _Esprit_, ibid.]
[Note 46: _Esprit_, ibid.]
Haine du despotisme encore, sa mefiance a l'endroit de la democratie
pure. Personne n'a parle plus magnifiquement que lui des democraties
anciennes. C'est qu'elles etaient mixtes; des qu'elles ont ete le
gouvernement du peuple seul par le peuple seul, elles ont penche vers la
ruine. "Le peuple mene par lui-meme porte toujours les choses aussi
loin qu'elles peuvent aller; et tous les desordres qu'il commet sont
extremes[47]. Aussi toute democratie est sur la pente ou du despotisme
ou de l'anarchie. L'esprit "d'egalite extreme" la porte a considerer
comme des maitres les chefs qu'elle se donne, et a tout niveler au plus
bas. Dans ce desert l'espace est libre et l'obstacle nul pour un tyran,
a moins que l'idee de despotisme ne soit tout a fait insupportable,
auquel cas "l'anarchie, au lieu de se changer en tyrannie, degenere en
aneantissement"[48].
[Note 47: _Esprit_, v, ii.]
[Note 48: _Esprit_, viii.]
Si la crainte du despotisme est tout le fond de Montesquieu, la
recherche des moyens pour l'eviter sera toute sa methode. Dans tout son
ouvrage on le voit qui guette en chaque etat politique le vice secret
par ou la nation pourra s'y laisser surprendre. Le despotisme est pour
Montesquieu comme le gouffre commun, le chaos primitif d'ou toutes les
nations se degagent peniblement par un grand effort d'intelligence, de
raison et de vertu, po
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