part sont profondes.
Il n'y a aucune oeuvre qui fasse plus reflechir. C'est son merveilleux
defaut qu'a chaque instant il donne au lecteur l'idee de faire une
constitution puis une autre, puis une troisieme, sans compter qu'il
persuade ailleurs qu'il est inutile d'en faire une. De quelque biais
qu'on le prenne, il parait extraordinaire. Tantot on comprend son oeuvre
comme une promenade a la fois tres assuree et tres inquietante a travers
toutes les conceptions humaines dont sont penetres comme d'un seul
regard les grandeurs, les faiblesses, le ressort puissant, le vice
secret. Tantot on la voit comme un monument tres ordonne et tres
regulier, construit d'apres les lois d'une logique dogmatique
imperieuse, construction solide et immense, qui, encore, a laisse autour
d'elle d'enormes materiaux a construire des edifices tout differents.
C'est un livre si vaste et si fourni qu'il forme systeme, se suffit a
lui-meme, et aussi qu'il se refute, ce qui est une facon de dire qu'il
se complete. Ne le prenez pas pour l'ouvrage d'un theoricien uniquement
epris d'idees pures, agencant la machine sociale comme par donnees
mathematiques. Montesquieu est cela, et cela surtout, soit; mais il est
autre chose. Il est l'homme qui sait que ces subtiles combinaisons ne
sont rien si elles ne sont soutenues et comme remplies de forces vives,
vertus ici, honneur la, bon sens et moderation ailleurs, energie morale
partout. Il est etrange qu'on ait cru[63] qu'a ce livre il manque une
morale. L'erreur vient de ce qu'il est tres vite dit que le fonds des
societes est fait de vertus sociales, et un peu plus long de tracer
le cadre savamment ajuste ou ces vertus s'accommoderont le mieux pour
produire leurs meilleurs effets. La partie morale de l'ouvrage peut
disparaitre, materiellement, a travers la multitude des minutieuses
considerations politiques. Mais la morale sociale est le fond meme de ce
livre et si l'on y peut decouvrir comment les meilleures volontes sont
au risque de demeurer impuissantes dans une constitution politique mal
concue, ce qui est vrai, et bien important; encore plus y trouvera-t-on
comment les meilleurs agencements sociaux restent, faute de grandes
forces morales, des ressorts sans moteur et des cadres vides.
[Note 63: Nisard.]
Je veux bien qu'on dise que Montesquieu est peut-etre un peu trop
optimiste. Il l'est de deux manieres: par trop croire aux hommes, et par
trop croire a lui-meme, Il a trop confiance dans la bonte
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