l a trouve un terrain solide
ou il etablit sa place d'armes, et le tirailleur prudent sent desormais
derriere lui un corps de reserve.--Il y a infiniment gagne, meme au
point de vue litteraire. Il a tant ete dit que ces _Eloges_ sont des
chefs-d'oeuvre, qu'on voudrait qu'ils ne le fussent point tout a fait,
pour pouvoir dire quelque chose de nouveau. Il en faut prendre son
parti: ce sont des chefs-d'oeuvre. C'est le vrai ton convenable en une
academie des sciences, simple, net, tranquille, grave avec une sorte de
bonhomie, sans la moindre espece de recherche soit d'eloquence, soit
d'esprit. Pour la premiere fois de sa vie, Fontenelle est spirituel sans
paraitre y songer. Le trait, qui est frequent, est naturel a ce point
qu'il n'est pas meme dissimule. Il vient de lui-meme et dans la mesure
juste, disant precisement ce que l'on croit, apres l'avoir entendu,
qu'on allait dire. Tout au plus, dans les _grands_ eloges, dans celui
d'un Leibniz ou d'un Malebranche, voudrait-on un peu plus de largeur, un
ton qui imposat davantage, et une admiration non plus vive, mais, sans
etre fastueuse, plus declaree. Mais toutes ces courtes biographies de
laborieux chercheurs maintenant inconnus, sont de petites merveilles
de verite, de tact et de gout. Le _portrait litteraire_ n'y est jamais
fait, et la figure du personnage y est vivante, individuelle, tracee
d'une maniere ineffacable en quelques traits. Ce sont des eloges, et
rien n'y est dissimule. Ces savants sont bien la avec leurs petits
defauts caracteristiques, leur simplicite, leur naivete, parfois leur
ignorance des manieres et des usages, leurs manies meme, et les aliments
peses de celui-ci, et le sommeil regle au chronometre de celui-la. Et
ces traits ne sont qu'un art de mieux faire revivre les personnages; et
ce qui domine, sans etalage du reste, et sans rien surcharger, ce sont
bien les vertus charmantes de ces laborieux: leur probite, leur loyaute,
leur labeur immense et tranquille, leur modestie, leur piete, leur
devotion meme naive et comme enfantine, et delicieuse en sa bonhomie,
comme celle de ce mathematicien[17] qui disait "qu'il appartient a la
Sorbonne de disputer, au Pape de decider, et au mathematicien d'aller
au ciel en ligne perpendiculaire." Ils sont exquis ces savants de 1715,
vivant de leurs lecons de geometrie ou d'une petite pension de grand
seigneur, sans eclat, presque sans journaux, inconnus du public, formant
en Europe comme une petite republique dont les
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