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cela, sans doute, mais ce n'est pas tout a fait cela. Le realisme est
une peinture dont le lecteur peut tirer une satire, mais dont il ne faut
pas trop que l'auteur fasse une satire lui-meme, auquel cas nous serions
deja dans un autre genre, tenant un peu du genre oratoire, lequel est
precisement un des contraires du realisme. L'intention satirique n'est
pas moins marquee dans La Bruyere, dans Furetiere. Ai-je besoin de dire
que quand nous donnons Racine pour un realiste, nous ne cedons point
a un gout de paradoxe ou de taquinerie, et croyons avoir raison; mais
qu'encore ce n'est qu'en son fond que Racine est realiste, par son gout
du vrai, du precis, et du naturel, et de la nature; et que sur ce fond,
qui du reste est un de ses merites, il a mis et sa poesie, qui est d'une
espece si delicate et precieuse, et son gout d'une certaine noblesse de
sentiments, de moeurs et de langage, une sorte d'air aristocratique qui
se repand sur son oeuvre entiere. Racine est un realiste qui est poete
et qui est homme de cour.--Le Sage est realiste sans aucun de ces
melanges. Il l'est comme un homme qui non seulement a le gout de la
realite, mais l'habitude de ces moeurs, moyennes qui sont la matiere
meme du realisme.
Pour etre un bon realiste, il ne faut pas seulement l'habitude et le
gout des moeurs moyennes, il faut presque une moralite moyenne
aussi, dans le sens exact de ce mot, et sans qu'on entende par la un
commencement d'immoralite. Il faut n'avoir ni ce leger gout du vice,
vrai ou affecte, dont nous avions l'occasion de parler plus haut, ni
un trop grand mepris, ou du moins trop ardent, des bassesses et des
vulgarites humaines. Philinte eut ete bon realiste, lui qui voit ces
defauts, dont d'autres murmurent, comme vices unis a l'humaine nature,
et qui estime les honnetes gens sans surprise, et desapprouve les autres
sans etonnement.--Il faut remarquer qu'une certaine elevation morale
donne de l'imagination, etant probablement elle-meme une forme de
l'imagination. Un Alceste qui ecrit fait les hommes plus mauvais qu'ils
ne sont, par horreur de les voir mauvais. Tels La Rochefoucauld, ou meme
La Bruyere, et encore Honore de Balzac. Ils prennent un plaisir amer a
montrer les sceleratesses des hommes pour se prouver a eux-memes, avec
insistance et obstination chagrine, a quel point ils ont raison de les
mepriser. Et nous voila dans un genre d'ouvrage qui s'eloigne de la
realite, qui donne dans les conceptions imaginaires.
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