t-il ajouter encore un certain
manque de suite dans les demarches de son esprit? Il quitte, reprend,
et quitte encore les plus chers objets de son etude; il a comme de
l'inconstance dans le talent.--Faut-il dire encore qu'un certain degre
d'originalite lui manque, ou plutot, car ici il y a lieu a de grandes
reserves, qu'il ne sait pas bien se rendre compte de sa vraie
originalite, et une fois qu'il l'a trouvee, s'y bien tenir?--Il y a
toujours du je ne sais quoi dans Marivaux, et un tres piquant mystere.
Il inquiete. Il echappe. Il entre tres difficilement dans les
definitions toutes faites, et non moins dans celles qu'on fait pour
lui. Il impatiente par une inegalite de talent qui semble une inegalite
d'humeur. On le trouve quelquefois absurde, quelquefois ennuyeux,
quelquefois exquis; et tout compte fait, on est amoureux de lui.
Decidement c'est l'erudit du vingt-cinquieme siecle qui a raison.
I
MARIVAUX PHILOSOPHE
Il etait absolument incapable d'une idee abstraite. Comme le gout de
son temps etait a la philosophie, il a philosophe de tout son coeur, en
plusieurs volumes; car il avait cela aussi de feminin qu'il obeissait
a la mode. Il semble meme avoir eu une grande inclination pour cette
mode-la. A plusieurs reprises il a voulu courir la carriere de
publiciste. Apres le _Spectateur francais_, l'_Indigent philosophe_;
apres l'_Indigent philosophe_, le _Cabinet du philosophe_, et les
_Lettre de Madame de M***_, et le _Miroir_. C'etaient feuilles volantes,
sorte de journal intermittent ou il pretendait exprimer, au hasard des
circonstances, ses idees sur toutes choses. La lecture en est cruelle.
On prefererait l'abbe de Saint-Pierre, qui, du moins, provoque la
discussion. Dans le Marivaux publiciste, il n'y a pas meme une idee
fausse. Quand ce ne sont point des anecdotes et petites histoires
sentimentales, sur quoi nous reviendrons, ce sont des lieux communs
entortilles dans des phrases difficiles, ou des banalites de sentiment
delayees dans du babillage. Il n'y a rien au monde qui soit plus vide.
On saisit la le fond de la pensee de Marivaux, qui etait qu'il ne
pensait point. On s'est efforce de trouver dans ces volumes au moins des
_tendances_ philosophiques, interessantes a relever, comme indication
du tour d'esprit general de l'aimable ecrivain. On le montre ennemi du
prejuge nobiliaire, tres touche de l'inegalite des conditions sociales,
etc. A le lire sans parti pris ni pour ni contre lui, et meme avec
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