st point un ambitieux ou batailleur dans le combat
de la vie. Il ne se pousse pas, il arrive. Il fait cent fois pis que Gil
Blas; mais point les memes choses. Leurs empires sont differents. Cette
place, il a le sentiment qu'il n'en a pas besoin; il la retrouvera,
ou mieux. Sa carriere est ailleurs que dans les antichambres
ministerielles, et plus sure. Chacun n'a d'assurance, d'energie, et meme
d'effronterie que dans son metier.
Il est donc bon ce Jacob; mais il n'est pas conduit, ce me semble,
jusqu'au terme logique et naturel de son developpement (ce qui tient
peut-etre a ce que Marivaux n'a pas termine lui-meme le _Paysan
parvenu_, non plus que _Marianne_). J'ai soupcon que l'assurance de
l'homme doue de la puissance naturelle qui fait la fortune de M. Jacob,
doit se tourner assez promptement, en une sorte de brutalite. Se sentir
sur de l'amour de toutes les femmes developpe etrangement le fond
de ferocite qui est en l'homme. Si les mortels ordinaires ont tant
d'aversion pour les Jacob, c'est un peu jalousie; un peu sentiment de
dignite; surtout certitude que ces gens-la ne se bornent pas a etre des
miserables et deviennent tres vite des coquins. Moliere n'a pas manque
de faire son Don Juan mechant. Il faut un peu l'etre pour etre Don
Juan, et surtout a faire comme Don Juan, on est sur de le devenir. Le
_Leone-Leoni_ de George Sand, encore qu'un peu pousse au noir, est tres
bien vu a cet egard[24]. Marivaux ne l'a pas entendu ainsi et s'est
peut-etre trompe.
[Note 24: Je n'ai pas besoin de rappeler le _Bel Ami_ de Maupassant,
qui pourrait etre intitule le _Sous-officier parvenu_, et ou ce trait
est tres bien marque, peut-etre meme avec exces.]
Ainsi M. Jacob s'est marie. Il etait dans son caractere de rendre sa
femme horriblement malheureuse, la rencontrant comme un obstacle apres
l'avoir saisie comme un premier echelon. Marivaux est doux; il lui a
epargne cette cruaute, en tuant sa femme a propos. C'est peut-etre
reculer devant le point delicat, difficile et interessant.--Passons, et
apres tout, Mme Jacob a pu mourir. Mais M. Jacob ne montre nulle part le
plus petit trait de cette durete si naturelle a ses semblables, et dont
il fallait au moins qu'il eut comme un germe. Il est benin, et tout
passif. Il est choye, dorlote, engraisse et doucement papelard. Souvent
on le prendrait plutot pour un "directeur" que pour ce qu'il est, et il
n'y a rien de plus different. C'est que Marivaux est un genie feminin,
et s'e
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