, et c'est quelque chose, mais c'est tout.
Je suis sur que cette impuissance relative a fournir de matiere ses
personnages secondaires, Marivaux en a conscience, et que c'est pour
cela qu'il les tue a mi-chemin, M. de Climal au tiers de _Marianne_,
Mlle Habert a la moitie du _Paysan_. Sans doute il ne pouvait point les
soutenir, et il s'en est debarrasse, et le vice de composition n'est
peut-etre qu'une indigence d'invention.
Quant a ce qui reste, quand on en parle, savez-vous ce qui arrive? C'est
que ce n'est plus de Marivaux qu'on s'entretient. Ce n'est plus lui qui
ecrit, c'est son temps. Marivaux, dans ses romans, se trace un cadre
assez vaste, y dessine, avec sa psychologie adroite, mais peu puissante,
et son observation juste, mais peu riche, une, deux, trois figures, et
surtout une, qui ont de la verite; et il remplit les espaces vides avec
ce que lui donnent le tour d'esprit, le tour d'imagination, le bel air,
le gout general, les lieux communs et les manies intellectuelles de
son epoque. Or dans l'epoque dont il est, il y a surtout deux gouts
dominants en litterature d'imagination: c'est a savoir la vertu et le
devergondage.
Je dis le devergondage, et c'est chose bien connue deja du lecteur: il
sait que Crebillon fils commence de tres bonne heure au XVIIIe siecle,
avec les _Lettres Persanes_ et le _Temple de Gnide_. Ce qu'on oublie
quelquefois, c'est que la "vertu", la vertu a la mode de Jean-Jacques,
"l'ame vertueuse et sensible" n'est point nee sous les auspices de
Diderot et de Rousseau. Elle vient au jour, elle aussi, presque au
commencement du siecle. On la trouve dans ces memes _Lettres Persanes_
a l'episode des _Troglodytes_; on la trouve dans tout le theatre
sentimental de La Chaussee, et ne perdons pas de vue que le theatre de
La Chaussee est exactement contemporain des deux romans de Marivaux.
Il faut bien se persuader, et que Diderot n'a invente ni le libertinage,
ni la sensibilite, et que l'un et l'autre sont venus a peu pres
ensemble, des que l'influence du XVIIe siecle s'est affaiblie, comme
frere et soeur, qu'ils sont en effet. Car ils sont de meme famille, et
se soutiennent l'un et l'autre, et meme se supposent. Des que la gravite
chretienne a cesse de remplir, ou de soutenir, ou, au moins, de reprimer
les esprits, le libertinage s'y est insinue; et des que le libertinage
s'y est introduit, le respect humain, pour en temperer la crudite, y
a mele le gout de la vertu et le don de l'attendr
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