issement. On est
licencieux, on est lubrique; mais on a bon coeur, on est pitoyable, le
spectacle du malheur vous arrache de genereuses larmes, et, sous ce
couvert, on continue d'etre libertin en toute decence. Et le lecteur
peut lire sans rougir l'oeuvre ou tant de vertu enveloppe un peu de
cynisme; et l'auteur se sauve de ses ecarts par la beaute morale de
ses conclusions; et tout le monde trouve son compte; et vertu et
devergondage s'en vont de concert tout le long du siecle, jusqu'a
Diderot et Rousseau, si enclins a l'un comme a l'autre, et qui ont a
l'un et a l'autre, unis et enlaces jusqu'a se confondre, fait de si
grandes fortunes, qu'ils passent pour les avoir inventes.
Le fait est constant; quant a la theorie, elle n'est pas de moi; elle
est de Marivaux. C'est lui qui etablit cette regle de l'union necessaire
de la licence et de l'honnetete. Il gronde Crebillon fils: Vous etes
trop cru, lui dit-il. Il faut des debauches dans un bon ouvrage, mais
temperees par des tendances vertueuses; "nous sommes naturellement
libertins, ou, pour mieux dire, corrompus; mais il ne faut pas nous
traiter d'emblee sur ce pied-la. Voulez-vous mettre la corruption dans
vos interets? Allez-y doucement, apprivoisez-la, ne la poussez point
a bout. Le lecteur aime les licences, mais non point les licences
extremes, excessives... Le lecteur est homme; mais c'est un bomme en
repos, qui a du gout, qui est delicat, qui s'attend qu'on fera rire son
esprit; qui veut pourtant bien qu'on le debauche, mais honnetement, avec
des facons, avec de la decence."--Que disais-je?
Ces deux gouts dominants, ces deux lieux communs de l'esprit public au
XVIIIe siecle, ils n'etaient guere, a la verite, dans Marivaux. La ou
Marivaux est superieur, ils sont absents; mais c'est avec quoi il a
comble les vides et fait l'etoffe courante et commune de ses romans;
c'est ce qu'on trouve dans son oeuvre quand il n'y intervient pas
directement, et qu'il la laisse aller d'elle-meme.
Sensibilite conventionnelle, toute la partie de _Marianne_ (le second
tiers) ou la jeune fille est menee dans le monde, conduite chez le
ministre, etc. Il y a la une scene dans le cabinet ministeriel, avec
larmes, genuflexions, genoux embrasses, et ministre la main sur son
coeur, qui meriterait d'etre peinte par Greuze. Il n'y manque qu'un
huissier au second plan ouvrant les bras a demi etendus dans un geste
qui veut dire: "Spectacle divin pour une ame sensible!"
Libertinage concert
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