re avec Le Sage, et qui devait etre vite a la mode en
France, ou le realisme n'a le plus souvent ete qu'un certain gout de
s'encanailler; un peu de sensibilite et de vertu larmoyante; un peu de
polissonnerie.
Et voila, ce me semble, les romans de Marivaux. Ils ont des disparates
extraordinaires, et sont, selon les pages, excellents ou assommants.
C'est qu'ils ont ete ecrits comme par deux hommes, l'un psychologue,
contemporain de La Rochefoucauld et de Mme de La Fayette, qui est
exquis, encore qu'un peu long, l'autre par un homme du XVIIIe siecle
qui connaissait le gout du jour et qui expediait, comme a la tache, des
pages de grivoiseries ou de sensibleries pour aider l'autre. Et il n'y
a personne qui ressemble moins au premier que le second, d'ou suit dans
l'ouvrage commun quelque incoherence.
Trouve-t-on en quelque ouvrage Marivaux a peu pres tout seul, et sans
collaborateur trop apparent? Oui, et c'est la que nous allons le
considerer pour achever de le bien connaitre.
III
MARIVAUX DRAMATISTE
Il etait ne pour le theatre, et plutot le theatre etait l'endroit ou
ses qualites devaient se trouver dans tout leur jour,--ou ce qui lui
manquait n'est point necessaire,--ou, enfin, il se pouvait qu'il fut
contraint de renoncer a ses defauts, justement parce qu'ils y sont plus
graves qu'ailleurs.
Cet art psychologique ou il etait fin ouvrier, le theatre en vit;
c'est sa ressource propre. Ce ne sont point les grands moralistes qui
reussissent a la scene, ce sont les grands psychologues. Ce ne sont
point des tableaux tres riches et abondants des moeurs humaines que le
theatre peut nous presenter, c'est l'analyse tres nette, tres diligente
et bien conduite, d'une ou deux passions dans chaque piece, et c'en est
assez; c'est l'evolution, bien suivie en ces phases successives, d'un
ou de deux sentiments, qu'on saura presenter et opposer d'une maniere
dramatique. Et tant s'en faut qu'il soit besoin d'une foule de
personnages, tous bien saisis, c'est-a-dire d'une multitude de
renseignements sur les moeurs des hommes, qu'il ne faut pas meme de
personnages trop complexes, sous peine de n'etre plus clair. Au theatre
l'homme est comme depouille de tous les accessoires de son caractere, il
est reduit a ses passions dominantes; et puis, en revanche, ces
passions sont etudiees dans tout leur detail et etalees dans tout leur
developpement.
Essayez de mettre _Gil Blas_ au theatre. Vous vous apercevrez d'abord
que tant de pe
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