le sombre, le morne, l'acariatre,
le tranquille, l'amateur de prunes, et qui nous offre le divertissement
de dix lignes de La Bruyere en cinq actes!--Quel singulier theatre!
Voila qui ne ressemble a rien! Mais deja c'est quelque chose que cela,
et l'on en est comme tout repose et rafraichi.
On lit de plus pres, et l'on s'apercoit qu'il y a la un genre nouveau,
une sorte de _comedie romanesque_, des ouvrages dramatiques qui sont des
"nouvelles", ou bien plutot, de petits romans traites dans la maniere
dramatique, du reste avec le moins de procedes dramatiques qu'il se
puisse. Cette comedie n'emprunte presque rien--ayons le courage de dire
rien du tout--a la vie courante; elle n'a la pretention ni de corriger
les moeurs ni de les peindre; elle n'est ni une these ni un miroir; elle
est faite d'une douce et legere aventure de coeurs entre gens qu'on n'a
jamais rencontres dans la rue. Les critiques qui veulent voir dans ce
theatre la comedie traditionnelle, et y chercher des renseignements sur
les hommes du temps, ont le double malheur de n'y trouver rien, et
de nous amener, par leurs analyses les plus laborieuses, a cette
conclusion, tres fausse, qu'il est nul. Les personnages y sont d'un pays
qui n'est nullement geographique. Les suivantes sont des dames tres
bien elevees, et qui ne sont pas seulement spirituelles, qui sont
ingenieuses. Et faites bien attention, souvent les grandes dames ont
des naivetes, de petites impatiences, de legers et adorables manques de
reflexion ou de tenue qui en font de charmantes grisettes. Il n'y a pas
une grande distance, non seulement d'allures, mais meme de race, entre
maitres et valets. Au theatre les acteurs jouent ces roles chacun selon
son "emploi" et retablissent la difference; mais examinez, et vous
verrez qu'elle est factice.--Et, pareillement, les meres (le plus
souvent) sont aussi jeunes de coeur que leurs filles; les peres dressent
des pieges joyeux ou se prendront leurs enfants, d'une humeur aussi gaie
et alerte que de jeunes valets.--Et tout cela est leger, capricieux,
aerien, fait de rien, ou d'un reve bleu, qui nous emmene bien loin, loin
des pays qui ont un nom, dans une contree ou l'on n'a jamais pose le
pied, et que pourtant nous connaissons tous pour savoir qu'on y a
les moeurs les plus douces, les caracteres les plus aimables, des
imperfections qui sont des graces, et que c'est un delice d'y habiter.
--Autrement dit, cette comedie est ultra-romanesque, et differe de
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