principes, il sait en tirer tout ce qu'ils contiennent;
ces faits moraux, il sait les creuser, les analyser, voir ce qu'ils
supposent, ce qu'ils comportent, et d'ou ils doivent venir, et ou ils
menent, et penetrer comme leur constitution, comme leur physiologie.
Le moraliste se prolongeant en un psychologue sera un romancier
admirable. Le moraliste qui n'est que moraliste, le psychologue qui
n'est que psychologue, pourra etre un romancier de grand merite, mais
incomplet.--Tout romancier est l'un et l'autre, mais il tient plus de
l'un que de l'autre, selon sa complexion naturelle. Marivaux est surtout
psychologue, et il l'est presque exclusivement. Voila pourquoi ses
romans semblent faux dans leur ensemble: il n'a pas assez vu;--et ont
des parties eclatantes de verite: certaines choses qu'il a vues, il les
a tres profondement penetrees.
Quant a etre attire vers le roman, et ne pour cela, il l'etait
absolument. Le psychologue a toujours au moins la tentation d'etre
romancier. Le moraliste l'a souvent aussi, mais beaucoup moins. Reunir
beaucoup de documents sur l'espece humaine, c'est la son plaisir, et
le plus souvent il se borne a ecrire les _Caracteres_. Coordonner ses
documents dans un tableau d'ensemble et faire mouvoir ce tableau sous
les yeux du lecteur par la machine simple et legere d'un recit un peu
lent, l'idee peut lui en plaire, et il ecrira le _Gil Blas_; mais il
faut deja qu'il ait d'autres dons, et partant d'autres sollicitations
que ceux du simple moraliste.
Le psychologue, lui, va droit au roman, de son mouvement naturel, et
sans se douter qu'il n'a pas tout ce qu'il faut pour l'achever; d'ou,
peut-etre, vient que Marivaux a toujours commence les siens et ne les a
jamais finis. Il va droit au roman, parce que sa maniere d'etudier est
deja une facon de se raconter quelque chose. Il n'est pas l'homme qui
jette de tous cotes avec promptitude des regards exerces et puissants;
il est l'homme qui, frappe d'un certain fait, le creuse et le scrute
avec patience pour remonter a ses origines, quitte a redescendre ensuite
a ses consequences. Il suit l'evolution d'un sentiment, d'une passion,
soutenant tel point de la chaine d'une observation ou d'un souvenir,
et comblant discretement les lacunes avec quelques hypotheses. Il va,
vient, induit, deduit, raccorde, et tout compte fait, c'est un petit
recit de la naissance, du developpement, de la grandeur et de la
decadence d'un fait moral, qu'il s'expose a lui-meme
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