otre
dignite qui se sent intacte et qui se rengorge un peu, une consolation
que d'autres trouveraient amere, mais que nous trouvons tres suffisante!
"Pour moi, je revenais tout emue de ma petite expedition; mais je dis
agreablement emue: cette dignite de sentiments que je venais de montrer
a mon infidele; cette honte et cette humiliation que je laissais dans
son coeur; cet etonnement ou il devait etre de la noblesse de mon
procede; enfin cette superiorite que mon ame venait de prendre sur la
sienne, superiorite plus attendrissante que facheuse... tout cela me
chatouillait interieurement d'un sentiment doux et flatteur... Voila
qui etait fait: il ne lui etait plus possible, a mon avis, d'aimer Mlle
Walthon d'aussi bon coeur qu'il l'aurait fait; je le defiais d'avoir
la paix avec lui-meme... et c'etaient la les petites pensees qui
m'occupaient... et je ne saurais vous dire le charme qu'elles avaient
pour moi, ni combien elles temperaient ma douleur."
Fort bien, Marianne, vous n'aimez point, voila qui est clair; mais,
d'abord, vous prenez le vrai chemin pour etre aimee, et du reste, vous
etes une petite personne clairvoyante, tres ferme, tres sure de soi,
tres forte, et qui le sait, et qui s'en felicite tres complaisamment,
et qui trouve dans ce sentiment tous les reconforts du monde; et c'est
plaisir de voir avec quelle gratitude envers vous-meme vous vous
regardez dans votre miroir.
Voila Marianne. Ce n'est guere qu'un portrait; ce n'est guere que
l'etude minutieuse d'un seul sentiment, ou d'un groupe de sentiments qui
ont ensemble etroit parentage, et qui s'entrelacent les uns dans les
autres. Mais c'est une etude psychologique tres poussee, et souvent tres
finement juste. Quelquefois on dirait du La Rochefoucauld un peu delaye.
Marivaux connait bien les femmes. Je crois qu'il ne connait qu'elles;
mais il s'y entend. Il demele tres heureusement les ressorts delies
et freles d'un caractere feminin. A ne considerer dans _Marianne_ que
Marianne seule, la lecture de ce livre est d'un tres grand charme. Sur
le reste je reviendrai, et j'aurai bien a dire; mais ce que je
crois voir pour le moment, c'est combien Marivaux a de penetration
psychologique pour aller jusqu'au fond intime d'un sentiment surprendre
la structure secrete, compter les contractions, isoler les fibres.
Le _Paysan parvenu_, a ne regarder encore que le personnage principal,
est beaucoup moins distingue. Ne crions pas trop vite a la pure
convention. I
|