bon auteur
qui a laisse un chef-d'oeuvre de bon sens, d'observation juste, de
narration facile et vive, de satire douce et fine; auteur dont il faut
se defier, tant il a l'art de deguiser l'art, tant on est expose a
ne pas s'aviser assez des qualites incomparables qu'il cache sous sa
bonhomie et l'aisance modeste de son petit train: auteur aussi qui fait
le desespoir des critiques, parce qu'il ne fournit pas la matiere d'un
bon article n'offrant guere prise a l'attaque, ni aux grands eloges
oratoires, ni aux grandes theories.--Il en est ainsi pour tous ceux qui
ont excelle dans un genre moyen. Cela leur fait un peu de tort: ils
n'ont pas de belles oraisons funebres, ni, ce qui est plus flatteur
encore pour une ombre, de batailles sur leurs tombeaux. Leur
compensation c'est qu'ils sont toujours lus. Et ils sont lus
_personnellement_, ce qui vaut beaucoup mieux que de l'etre par
"fragments bien choisis", dans les livres des autres.
MARIVAUX
Ce sera un divertissement de la critique erudite dans quatre on cinq
siecles: on se demandera si Marivaux n'etait point une femme d'esprit du
XVIIIe siecle, et si les renseignements biographiques, peu nombreux des
a present, font alors totalement defaut, il est a croire qu'on mettra
son nom, avec honneur, dans la liste des femmes celebres.--Si on se
bornait a le lire, on n'aurait aucun doute a cet egard. Il n'y eut
jamais d'esprit plus feminin, et par ses defauts et par ses dons. Il est
femme, de coeur, d'intelligence, de maniere et de style. Il l'etait,
dit-on, de caractere, par sa sensibilite, sa susceptibilite tres vive,
une certaine timidite, l'absence d'energie et de perseverance, une
grande bonte et une grande douceur dans une sorte de nonchalance, et
apres des caprices d'ambition, des retours vers l'ombre et le repos.
Ses sentiments religieux, des mouvements de tendresse pour ceux qui
souffrent, son gout pour les salons et les relations mondaines,
completent, si l'on veut, l'analogie.--Mais c'est par sa tournure
d'esprit qu'il semble, surtout, appartenir a ce sexe, qu'il a, souvent,
peint avec tant de bonheur. Son nom est fragilite, et coquetterie, et
grace un peu manieree. Je n'ai pas dit frivolite, je dis fragilite,
pensee fine, brillante et legere, incapable des grands objets, et se
brisant a les saisir. Je n'ai pas dit mauvais gout, je dis coquetterie,
demangeaison de toujours plaire, avec detours, manoeuvres et ressources
un peu empruntees pour y atteindre. Fau
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