eque qui est absolument
enchante de l'habilete de son laquais a lui voler ses confitures. Quel
adroit coquin! Quel genie inventif! Mais voyez comme il me vole bien!
Est-il assez gentil! Et toute l'assistance est en extase. On cherche des
compliments a ajouter a ceux de Monseigneur. On envie le voleur. Que
ne sait-on aussi spirituellement piller la maison pour meriter
l'applaudissement du maitre et entrer en faveur! Voila le gout pour les
coquins qui commence.--Oh! chez Le Sage, ce n'est pas encore bien grave.
Mais c'est un commencement, c'est un signe. Au XVIIe siecle l'ideal
moral est toujours present aux esprits, du moins dans le domaine des
lettres. Les comiques memes ne l'oublient pas; et c'est La Bruyere qui
marque son mepris des malhonnetes gens a chaque page, et ne veut pas
qu'un livre de portraits satiriques signe de lui s'en aille a la
posterite sans un chapitre ou se montre le grand honnete homme et le
chretien; et c'est Moliere qui ecrit _Scapin_, mais qui ecrit _Alceste_
aussi et _Tartuffe_. Ils ont au moins la preoccupation des choses
morales; ils l'ont, ou leur public la leur impose, et cela revient
presque au meme.
Le Sage est leur eleve, moins cette preoccupation, moins ce souci, du
moins la plume en main. Et dans _Gil Blas_ il n'est qu'insoucieux des
choses de la conscience, et voila qu'un peu plus tard, il descend d'un
degre, d'un seul; mais la chute commence. D'autres iront jusqu'au bas de
l'echelle. Nous aurons deux phenomenes litteraires tres curieux: le
gout du bas, et le gout du mal, les amateurs de mauvaises moeurs et les
amateurs de mechancete. Et ce sera la _Pucelle_, et Crebillon fils et
Laclos, et il y a pire que Laclos. Plus on avance dans l'etude du XVIIIe
siecle, plus on s'apercoit de cette brusque rupture qui s'est faite, des
son commencement, dans les traditions intellectuelles. Une lumiere s'est
eteinte. L'affaiblissement des idees religieuses a eu pour effet une
diminution morale. Les hommes se plairont un peu, pendant quelque temps,
dans cet etat, et puis, s'en fatiguant, chercheront a reconstruire la
conscience. Pour le moment il ne faut pas se dissimuler qu'ils s'en
passent. Et voila comment le bon Le Sage, avec tout ce qu'il tient du
XVIIe siecle, est de son temps, nonobstant, et annonce un peu celui
qui va suivre, et comment on a bien eu raison de voir dans son oeuvre
modeste une transition d'un age a l'autre.
V
Excellent homme, au demeurant, qui n'y a pas mis malice, et
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