s meme
cette demi-valeur morale que nous cherchions tout a l'heure a mesurer au
plus juste. On dirait qu'il est dans la destinee du realisme de tendre
au bas, qui n'est pas moins son contraire que le sublime. Je comprends
tres bien les critiques, comme Joubert par exemple, qui n'admettent pas
ces peintures de l'humanite moyenne, et ne trouvent jamais assez de
delicatesse et de distinction dans la litterature. Si on les pressait,
ils nous diraient: "Oh! c'est que je vous connais! Des que vous n'etes
plus au-dessus de la commune mesure, vous etes infiniment au-dessous.
L'etude de la realite n'est jamais qu'un acheminement ou un pretexte
a explorer les bas-fonds, et la region moyenne entre l'exception
distinguee et l'exception honteuse, c'est ou vous ne vous tenez
jamais."--Il y a du vrai en verite, je ne sais pourquoi. Voila un homme
qui a ecrit le _Gil Blas_, qui a montre un sens etonnant du reel, qui
s'est tenu, comme la vie, egalement eloigne des extremes, qui n'est pas
distingue, mais qui est de bonne compagnie bourgeoise, qui n'est pas
tres moral, mais qui n'a pas le gout de l'immoralite, et qui, du reste,
est honnete homme. Quand il recommence, c'est de coquins purs et simples
qu'il nous entretient, avec complaisance peut-etre, en tout cas avec
une remarquable impuissance a nous entretenir d'autre chose, _Guzman
d'Alfarache, le Bachelier de Salamanque_, traductions ou adaptations de
la litterature picaresque, sont du picaresque tout cru. Voila des gens
qui n'ont pas besoin de recevoir de la vie des lecons d'immoralite. Ils
naissent gradins de parents voleurs, vivent en brigands, meurent en
bandits, apres avoir fait souche de canaille.
Le premier effet de la chose, c'est qu'ils sont cruellement
ennuyeux.--Quel interet voulez-vous en effet qu'il y ait, et quelle
variete, et quel eveil de curiosite, et ou se prendre, dans une serie
de fourberies se continuant par des vols auxquels succedent des
espiegleries de Cartouche? Je remarque qu'a la page 50 c'est Guzman
qui est le voleur, et qu'a la page 55 c'est Guzman qui est le vole; le
divertissement est mince; et cela dure, et les volumes sont gros.--Et
je remarque aussi, sans oublier que le Sage est honnete homme, que
l'indifference entre le mal et le bien, que j'acceptais chez un peintre
realiste, il ne la garde plus tout a fait. Il penche vers les coquins,
il faut l'avouer. Ou est mon bon archeveque de Grenade qui n'etait
qu'un honnete sot? Je vois dans _Guzman_ tel ev
|