ueux avec sobriete; car il n'y a guere
de saints dans le monde. Et vous ne serez pas tres betes; car la betise
absolue n'est point si commune; et vous n'aurez pas de genie; car il est
tres rare. Et vous ne serez point maniaques; car c'est encore la une
exception, et les etres exceptionnels ne me semblent pas vrais. Si vous
le deveniez, je serais tres etonne, et je ne m'occuperais plus de vous."
Et c'est ainsi qu'il procede, des le principe. Son _Turcaret_ est bien
remarquable a cet egard. Le sujet est d'une audace inouie pour le temps,
et la moderation est extreme dans la maniere dont il est traite. Pour la
premiere fois dans une grande comedie, le public verra en scene un gros
financier voleur, et pour la premiere fois une fille entretenue, et
pour la premiere fois un favori de fille. Les trois temerites de notre
theatre contemporain sont hasardees, toutes trois ensemble, du premier
coup, en 1709, tant il est vrai que c'est bien de Le Sage (en y
ajoutant, si l'on veut, Dancourt) que date la litterature realiste et
"moderne".--Mais ces trois temerites, il n'y avait guere que Le Sage qui
les put faire passer. Ce n'est point qu'il attenue, qu'il tourne les
difficultes; non, mais il les sauve a force de naturel, a force de n'en
etre ni effraye lui-meme, ni echauffe. On ne s'apercoit pas qu'il est
hardi, parce qu'il est hardi sans declamation. Tout y est bien qui doit
y etre, dans ce drame: braves gens ruines par le financier, financier
"pille" par une "coquette", coquette "plumee" par qui de droit; c'est
un monde abominable. Voyez-vous l'auteur du XIXe siecle, qui, cent
cinquante ans apres Le Sage du reste, decouvre ce monde-la, et ose
l'exposer au jour. Il sera comme etourdi de son audace et, dans son
emotion, il la forcera; chaque trait sera d'une amertume atroce;
l'oeuvre sera d'un bout a l'autre "brutale" et "cruelle" et "navrante";
il n'y aura pas une ligne qui ne nous crie: "quels etres puissamment
abjects, et quelle puissante audace il y a a les peindre!"--et de tout
cela il resultera une grande fatigue pour nous, comme de tout ce qui est
guinde et tendu.--Tout naturellement, et non point par timidite, car
s'il eut ete timide, c'est devant le sujet qu'il eut recule, Le Sage
borne sa peinture a la realite, a l'aspect ordinaire des choses. Ces
monstres sont des monstres tres bourgeois, parce que c'est bien ainsi
qu'ils sont dans la vie reelle.--Cette "coquette" est d'une inconscience
naive qui n'a rien de noir, rien s
|