urtout de calcule pour l'effet et
pour le "frisson"; elle est abjecte et bonne femme; elle a perdu tout
scrupule et n'a point perdu toute honnetete; car, notez ce point, elle
est capable encore d'etre blessee de la perversite des autres: "Ah!
chevalier, je ne vous aurais pas cru capable d'un tel procede." C'est la
verite meme.--Et ce Turcaret! Comme cela est de bon sens de n'avoir pas
dissimule sa sceleratesse, de l'avoir montre voleur et cruel, mais de
n'avoir pas insiste sur ce point, et de l'avoir montre beaucoup plus
ridicule que meprisable. C'est connaitre les limites de la comedie,
dit-on. Oui, et c'est surtout connaitre le train du monde. Scelerat,
un tel homme l'est de temps on temps, quand l'occasion s'en presente;
burlesque, il l'est sans cesse, dans toute parole et dans tout geste, et
de toute sa personne et de toute la suite naturelle de sa vie. C'est
ce que nous voyons de lui a tout moment; c'est en quoi il est "reel",
c'est-a-dire dans le continuel developpement et non dans l'accident de
non etre.--Tous ces personnages ont comme une vie facile et simple. Ils
n'ont pas une vie "intense", ce qui, je crois, est chose assez rare. Ils
vivent comme vous et moi. Ils posent aussi peu que possible; ils n'ont
pas d'attitudes. C'est au point que _Turcaret_ est comme un drame qui
n'est point theatral. S'il plait mieux (de nos jours surtout) a la
lecture qu'aux chandelles, c'est probablement pour cela.
_Gil Blas_ est tout de meme. C'est le chef-d'oeuvre du roman realiste,
parce que c'est l'oeuvre du bon sens, du sens juste et naif des choses
comme elles sont. Petits filous, petits debauches, petites coquines,
petits hommes d'Etat, petits grands hommes, petits hommes de bien
aussi, et capables de petites bonnes actions, il n'y a pas un genre de
mediocrite dans un sens ou dans un autre, qui ne soit vivement marque
ici, et pas un genre de grandeur qui n'en soit absent. L'impression est
celle d'un tour que l'on fait dans la rue.
--Et par consequent cela ne vaut guere la peine d'etre
rapporte.--Pardon, mais fermez les yeux, et, un instant, regardant dans
le passe, retracez-vous a vous-meme votre propre vie. C'est precisement
cette impression de mediocrite tres variee que vous allez avoir. Cent
personnages tres ordinaires, dont aucun n'est un heros, ni aucun un
gredin, tous avec de petits vices, de petites qualites et beaucoup de
ridicules; cent aventures peu extraordinaires ou vous avez ete un peu
trompe, un peu froisse,
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