un
reste de naivete et de candeur. Disgracie, mais sa disgrace ignoree
encore, il rencontre une de ses creatures, qui se repand en actions de
graces et en protestations de devouement. Et le bon Gil Blas confie
son chagrin a cet ami si cher, lequel aussitot prend un air "froid et
reveur" et le quitte brusquement. Et Gil Blas a un moment de surprise,
comme s'il ne connaissait point encore les choses. Toujours le mot de
la Comtesse: "Ah! chevalier, je ne vous aurais pas cru capable d'un tel
procede." Il recoit encore des lecons d'immoralite; il peut en recevoir
encore. Les plus mauvais d'entre nous en recevront jusqu'au dernier
jour, et Dieu merci!
Et si l'experience durcit peu a peu son coeur et detruit ses scrupules,
elle affine son intelligence, et par la, tout compte fait, le ramene aux
voies de la raison. Tant d'aventures lui font desirer le repos, et tant
de batailles et de ruses, une vie simple et calme.--Mais voyez encore
ce dernier trait. N'est-ce point une idee tres heureuse que d'avoir
ramene Gil Blas de sa retraite sur le theatre des affaires? Il est
tranquille, il a vu le fond des choses; et il s'est dit: "cultivons
notre jardin"; et il le cultive. Il se croit sage; mais dans cette
sagesse la necessite entrait pour beaucoup, sans qu'il s'en doutat. Le
prince qu'il a servi monte sur le trone. Notre homme revient a Madrid,
sans precipitation a la verite, sans ardeur, et comme retenu par ce
qu'il quitte. Mais une fois a la cour, une fois poste sur le passage du
Roi dont il attend un regard, il confesse honteusement qu'il ne peut
repartir: "_Afin que Scipion n'eut rien a me reprocher_, j'eus la
_complaisance_ de continuer le meme manege _pendant trois semaines_." On
sent ce que c'est que cette complaisance. Il reviendra plus tard a
son jardin, sans doute; mais il etait naturel qu'il eut au moins une
rechute. La conversion d'un ambitieux est-elle vraisemblable, qu'il
n'ait ete relaps au moins une fois?
Tout cela est bien juste et bien penetrant, sans la moindre affectation
de profondeur. Il y a, je l'ai dit, une certaine imagination qui se
mele a ce bon sens, a cette vue juste de la condition humaine. C'est
l'imagination du poete comique. Elle est tres difficile a definir,
n'etant, pour ainsi dire, qu'une demi-faculte d'invention. Elle
consiste, ce me semble, a _vivifier l'observation--et a lier entre elles
les observations_, ce qui n'est encore rien dire, mais nous met sur la
voie. Le poete comique observe les
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