des _Caracteres_,
cent imitations ou contrefacons du livre a la mode se succederent. La
centieme, et la meilleure, c'est le _Diable boiteux_. Autre style, et un
cadre, mais meme procede. Quel est celui-ci?... Et celui-la?... C'est un
homme qui... et des portraits; et, pour varier, entre les portraits,
des anecdotes, des actualites, des _nouvelles a la main_. Comparez aux
_Lettres Persanes_. Dans celles-ci, des portraits encore, sans doute,
mais, plus souvent, des idees, des discussions, des vues, des paradoxes,
des espiegleries, et, tout compte fait, plus de pamphlet que de tableau
de moeurs; et dans Duclos il en sera de meme, et aussi dans les romans
de Voltaire, et c'est bien la qu'est la difference entre les
deux siecles, celui des moralistes et celui des "penseurs". Tres
naturellement, quand on lit Le Sage, c'est plutot a ce qui precede qu'on
songe, qu'a ce qui suit.
Et s'il n'en etait que cela, Le Sage ne serait pas une transition entre
les deux ages, mais appartiendrait tout simplement au precedent. Il
est vrai; mais a cote de ces inclinations d'esprit qui en font un
contemporain de La Bruyere, et comme derriere elles et plus au fond, Le
Sage en a d'autres, par ou il tend vers une toute autre date, un peu
trop meme peut-etre, et c'est ce qu'on verra par la suite.
II
LE "REALISME DANS" LE SAGE
Ce n'est pas encore indiquer par ou Le Sage est de son temps que le
considerer comme realiste. Presque au contraire. Le realisme en effet a
son germe dans l'Ecole de 1660, en ce que cette ecole a ete un retour au
naturel, a l'observation exacte, au gout du reel, et une reaction tres
violente contre le genre romanesque. Le realisme remplit les satires de
Boileau, les comedies de Moliere, le _Roman bourgeois_ de Furetiere,
aime de Boileau, et les _Caracteres_ de La Bruyere. En 1715, le realisme
n'est point une nouveaute, c'est une tradition, et bien plus novateurs
seront ceux qui de la sphere des faits se jetteront dans celles
des idees et des systemes, ce qui souvent sera encore un retour au
romanesque par une autre voie.--Le Sage, homme tres peu pretentieux du
reste, et modeste dans ses ambitions litteraires, ne fait donc, ou ne
croit faire, que ce qu'on faisait avant lui. Il regarde, il observe, il
collectionne, et il ecrit des "caracteres" avec l'assaisonnement d'un
"roman comique". Seulement, si, a proprement parler, il n'invente rien,
il apporte dans l'art realiste sa nature propre, et il se trouve que
cette
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