mes yeux. J'accorde que madame Sarah Bernhardt
a tous les torts. Elle a tort d'abord d'avoir son temperament qui la
pousse aux decisions extremes. Elle a tort ensuite d'etre trop sensible
a la critique; apres avoir cru a tous les eloges qu'on lui donnait, elle
a cru a une critique violente qui tombait sur elle comme une tuile par
un jour de grand vent. Et c'est cette derniere naivete que je ne lui
pardonnerai jamais. Eh quoi! madame, vous avez deserte devant une phrase
d'un critique dont les arrets ne peuvent compter? Vous que l'on dit
si orgueilleuse, vous avez manque d'orgueil a ce point? Mais je vous
assure, il en a tue d'autres qui se portent fort bien. C'est quelquefois
un honneur d'etre attaque. Si, comme on le raconte, vous cherchiez un
pretexte pour quitter la Comedie-Francaise, que n'en avez-vous donc
trouve un plus serieux, car celui-la, en verite, me gate toute
l'histoire.
Ainsi, voila madame Sarah Bernhardt qui s'est donne tous les torts.
Seulement, il faut examiner la responsabilite de la presse et du public.
Elle n'a aucun talent, dites-vous? Alors pourquoi l'avez-vous grisee
pendant huit ans? C'est vous qui l'avez faite, c'est vous qui l'avez
poussee a cette susceptibilite nerveuse, qui vous semble extraordinaire.
Vous gatez les femmes, puis vous les tuez. Celle-la nous ennuie, a une
autre! Aucune mesure, ni dans les eloges, ni dans la critique. Lorsque
vous avez mis une comedienne dans les astres, vous la jetez d'un coup de
poing dans l'egout; et vous vous etonnez que cette machine delicate se
detraque. Ah! peuple de polichinelles! C'est pour cela qu'il vaut mieux
t'avoir contre soi, parce qu'au moins on n'a plus a craindre que ta
tendresse.
Et comment voulez-vous que les journaux gardent la mesure, lorsqu'un
maitre du theatre contemporain tel que M. Emile Augier perd lui-meme
toute logique? Je dirai jusqu'au bout ce que je pense, puisque me voila
lance. On nous a raconte comme quoi M. Augier avait insiste aupres de
M. Perrin pour donner le role de Clorinde a madame Sarah Bernhardt; M.
Perrin aurait prefere madame Croizette; mais l'auteur exigeait madame
Sarah Bernhardt, dont le talent sans doute lui semblait preferable. Des
lors, quelle est notre stupeur de lire, dans la lettre ecrite par M.
Augier, ces deux phrases que je detache: "Je maintiens qu'elle a joue
aussi bien qu'a son ordinaire, avec les memes defauts et les memes
qualites, ou l'art n'a rien a voir... Soyons donc indulgents pour cette
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