, du soleil et des fleurs, il se trompe
etrangement. Au theatre, on ne remplace pas l'humanite absente par des
images. Les tirades glacent l'action, et je signale comme exemple la
scene de Garin et d'Aischa devant la chambre nuptiale, la grande scene,
celle qui devait tout emporter, et qui a paru mortellement froide et
ennuyeuse. Comment voulez-vous qu'on s'interesse a ces poupees qui ne
disent pas ce qu'elles devraient dire et qui enguirlandent ce qu'elles
disent de divagations poetiques absolument folles? J'avoue que ce
lyrisme a froid me rend malade.
En somme, il faut avoir le vers puissant de Victor Hugo pour se
permettre un drame de cette extravagance. Je ne pretends pas que _Ruy
Blas_ et _Hernani_ soient d'une fable beaucoup plus raisonnable. Mais
ces oeuvres demeureront quand meme des poemes immortels. Quant a M Paul
Delair, du moment ou il n'a pas le genie lyrique de Victor Hugo, il
devrait rester a terre; la folie lui est interdite. Dans son cas, un peu
de raison est simplement de l'honnetete envers le public.
Ce n'est pas gaiement que je triomphe ici. Je n'osais esperer une piece
comme _Garin_ pour montrer le vide et la demence froide des derniers
romantiques. Toute la misere de l'ecole est dans cette oeuvre. Mais je
suis attriste de voir une scene comme la Comedie-Francaise risquer une
partie pareille, perdue a l'avance. Sans doute M. Perrin et le comite
n'ont pu se meprendre. _Garin_, avec le truc de son spectre, avec ses
continuelles sonneries de trompettes, avec sa mise en scene de loques
et de ferblanterie romantiques, aurait tout au plus ete a sa place a la
Porte-Saint-Martin; et, certes, ce ne sont pas les vers qui rendent
la piece litteraire. Seulement, on reproche si souvent a la
Comedie-Francaise de ne pas s'interesser a la jeune generation, qu'il
faut bien lui pardonner, lorsqu'elle fait une tentative, meme si elle se
trompe. Peut-etre n'y a-t-il pas mieux, et alors en verite le romantisme
est bien mort. Je prefere les eleves de M. Sardou, s'il en a.
Voila mon jugement dans toute sa severite. J'ai mieux aime dire
nettement a M. Paul Delairce que je pense. Il est dans une voie
deplorable, il s'apprete de grandes desillusions. Le premier acte de
_Garin_ a de la couleur, et ca et la on peut citer quelques beaux vers;
mais c'est tout. Une piece pareille enterre un homme. Si M. Paul Delair
en produit une seconde taillee sur le meme patron, il ne retrouvera meme
pas la premiere indulgence du public.
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