nions contraires.
Seulement, lorsque M. Catulle Mendes aborde un sujet moderne et accepte
ainsi notre milieu contemporain, il a certainement tort de le taire sans
modifier ses croyances. Dans un sujet moderne, l'ideal n'est plus le
reel, et cet ideal devient un singulier embarras. Pour obtenir du reel,
il faut avoir surtout du reel plein les mains. Selon moi, _Justice_ est
l'oeuvre d'un poete qui n'a pas songe a couper ses ailes, et que ses
ailes font trebucher. Nous retrouvons la le chef de groupe, grandi dans
un cenacle, avec le clou d'une idee fixe enfonce dans le crane.
Je commencerai par les eloges. Dans _Justice_, l'effort litteraire me
trouve plein de sympathie. On joue tant de pieces odieusement pensees et
ecrites, qu'il y a un veritable charme a tomber sur l'oeuvre voulue d'un
poete. Cette oeuvre peut soulever en moi les plus vives objections, elle
n'en est pas moins du monde de ma pensee, elle m'occupe et me passionne.
Fut-elle tout a fait mauvaise, elle resterait pleine de saveur. J'aime
cette histoire, ce medecin qui a vole et qui est venu se laver de sa
faute par de bonnes oeuvres, dans une province perdue; j'aime cette
fille de notaire, qui parle et agit comme une creation du reve; j'aime
ces deux amoureux, que le monde gene, et qui se debarrassent du monde,
en mourant aux bras l'un de l'autre. Oui, j'aime ces choses, malgre leur
folie, parce qu'elles sont la volonte d'un artiste, et que dans leur
incoherence meme on sent l'enfantement d'un esprit qui n'a rien de
vulgaire.
Malheureusement, il faudrait m'en tenir la. Si j'arrive a l'analyse de
la piece, en depit de toute ma sympathie, je me sens devenir grave et
severe. M. Catulle Mendes a eu le tort de plaisanter avec la realite. Il
aurait du habiller ses personnages de justaucorps et de pourpoints, et
nous lui aurions tout pardonne. Mais entrer dans la vie moderne en poete
lyrique, voila qui est grave! Il se tromperait, s'il croyait que rien
n'est plus commode a trousser que la verite; la vie de tous les jours
est la, comme comparaison, et l'on ne peut pas mettre debout une fille
de notaire de fantaisie, comme on planterait une damoiselle, avec une
jupe de satin et une coiffure copiee dans les livres du temps. En un
mot, il faut avoir le sens de la modernite, quand on aborde un sujet
contemporain. Les romantiques, qui s'imaginent pouvoir peindre la vie
actuelle en se jouant, et par farce pure, s'exposent aux echecs les plus
piteux. Rien n'est severe et
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