tre-Dejazet. Il s'agissait seulement d'un petit acte, je crois;
et les ouvreuses elles-memes ont recu en cadeau des bonnets neufs. A
l'Ambigu, la solennite s'elargit. Songez donc! une tragedie en quatre
actes, quelque chose comme dix-huit cents vers! Aussi le bruit s'est-il
repandu que le directeur a demande au poete quinze mille francs, pour
jouer sa piece quinze fois; je ne parle pas des decors, des costumes,
des accessoires. Les chiffres ne sont peut-etre pas exacts; mais il n'en
est pas moins certain que l'auteur paye les frais et presente son oeuvre
au public, directement, sans l'avoir soumise au jugement de personne.
Ah! c'est le reve, et les gens tres riches peuvent seuls se permettre
une pareille tentative. J'ai entendu soutenir brillamment cette opinion,
que l'auteur devait avoir un theatre a lui et jouer lui-meme ses pieces,
s'il voulait donner sa pensee tout entiere, dans sa verdeur et sa
verite. Les deux plus grands genies dramatiques, Shakespeare et
Moliere, ont entendu ainsi le theatre, et ne s'en sont pas mal trouves.
Seulement, cette trinite de l'auteur, du directeur et de l'acteur reunis
en une seule personne, n'est pas dans nos moeurs, et tous les essais
qu'on a pu tenter de nos jours ont echoue miserablement.
Je suis alle a l'Ambigu avec une grande curiosite, tres decide a
m'interesser au _Spartacus_ de M. Talray. Notez qu'il faut un certain
courage pour aborder ainsi le public, quand on est un simple amateur: on
s'expose aux plaisanteries de ses amis, aux rudesses de la critique, aux
rires de la foule. Il est entendu qu'un auteur qui paye et qui tombe,
est doublement ridicule. Chatiment merite, dira-t-on. Peut-etre.
Mais j'aime cette belle confiance des poetes qui risquent ainsi
tranquillement le ridicule, et qui souvent meme l'achetent tres cher.
J'arrive et j'ecoute religieusement. Il faut vous dire, avant tout, que
M. Talray s'est absolument moque de l'histoire. Son _Spartacus_ est
d'une grande fantaisie. J'avoue que cela ne me fache pas outre mesure.
Les auteurs dramatiques ont toujours traite l'histoire avec tant de
familiarite, qu'un mensonge de plus ou de moins importe peu. Nous sommes
en pleine imagination, c'est chose convenue. Seulement, ce qu'on peut
demander, c'est que l'imagination ne batte pas la campagne, au point
d'ahurir le monde. Or, M. Talray a une facon de traiter le theatre tres
dangereuse pour le public bon enfant, qui vient naivement voir ses
pieces, avec l'intention de les
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