s se serrerent la main affectueusement; puis, s'accoudant l'un et
l'autre sur la table qui les separait, ils se mirent a parler a voix
basse, de telle sorte que le garcon qui allait ca et la, tournant autour
de ces deux consommateurs mysterieux, ne pouvait entendre ce qu'ils
disaient.
--Eh bien! mon oncle?
--Eh bien! ce que je vous avais annonce s'est realise, on est venu ce
matin pour m'arreter. Mais j'attendais cette descente de police et
j'avais pris mes precautions en consequence, decide a ne pas me laisser
arreter. On faisait bonne garde autour de moi, le concierge et des amis.
Quand la police a frappe a la porte de la cour, on a attendu avant
d'ouvrir et pendant ce temps on est venu me prevenir; je ne me suis pas
amuse a faire ma barbe. Ce n'etait pas la premiere fois que les agents
venaient dans l'atelier des Chamberlain, et je n'etais pas le premier
de la famille qu'on tentait d'arreter. Nous avons une route par le toit
qui, pour ainsi dire, nous appartient: notre pere l'a suivie, votre pere
l'a prise en 1831; moi, je l'ai employee plusieurs fois. Je suis sorti
par la fenetre.
--A votre age, mon oncle!
--A mon age, j'ai le pied sur encore, surtout quand je sais que les
agents montent l'escalier. Et puis Michel avait voulu m'accompagner; il
m'a tendu la main, et le voyage, qui n'est pas long d'ailleurs, s'est
heureusement accompli. Pendant qu'on m'attendait rue de Charonne, je
suis tranquillement sorti par la rue de la Roquette; j'ai dit adieu a
Michel, et me voila.
--Pourquoi n'etes-vous pas venu directement chez moi?
--Par prudence; d'ailleurs ce n'est pas l'hospitalite que je vous
demande, c'est plus que cela; mon intention n'est pas de rester a Paris
ou je n'aurais rien a faire presentement; je veux quitter la France
et passer en Allemagne, ou j'ai besoin, et je viens vous demander de
m'aider a franchir la frontiere.
--Je suis a votre disposition, mon oncle.
--J'etais sur de votre reponse, mon neveu, et voila pourquoi je suis
venu a vous. A Paris, je ne suis pas trop maladroit pour manoeuvrer;
mais au dela des fortifications, je suis certain que je me ferais
prendre tout de suite. Le gendarme me rend timide et bete.
--Et ou voulez-vous aller?
--En Allemagne, ou Therese me rejoindra, mais la route m'est
indifferente, je prendrai celle que vous me conseillerez.
Le colonel reflechit un moment.
--Ici, dit-il, nous sommes mal pour combiner notre plan, nous n'avons
pas d'indicateur; nous
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