joignit a
l'interet que cette nouvelle portait en elle-meme.
Quand on lui demanda pourquoi cette rupture avait lieu, il refusa de
repondre, et persista dans son refus avec fermete; mais cependant de
maniere a laisser entendre que, s'il ne parlait pas, ce n'etait point
par ignorance, mais que c'etait par discretion.
--Vous savez, moi, je n'aime pas les propos du monde, et d'ailleurs je
n'admets que ce que j'ai vu. J'ai vu le colonel rompre avec mademoiselle
Belmonte et j'affirme cette rupture; mais les causes de cette rupture,
c'est une autre affaire.
De guerre lasse, il s'etait decide non a expliquer ces causes clairement
et franchement, mais a les laisser adroitement entendre.
Le colonel avait fait d'etranges decouvertes sur le compte de sa
fiancee. Il y avait dans cette affaire un maitre de chant, Beio,
l'ancien chanteur, dont le role n'etait pas beau; il est vrai qu'il ne
fallait pas oublier que Carmelita etait Italienne, ce qui diminuait le
role joue par Beio. Enfin le colonel avait cru devoir rompre, et, pour
qui le connaissait, parfait gentleman comme il etait, incapable de se
decider a la legere, cette rupture etait grave, alors surtout qu'il
s'agissait d'un mariage aussi avance; encore quelques jours, et il etait
conclu.
Le baron n'avait pas pu se retenir d'aller a l'Opera le soir meme de
la rupture, pour l'annoncer a madame de Lucilliere qu'il esperait
rencontrer.
En effet, la marquise etait dans sa loge, et, en voyant le baron entrer,
elle avait devine, a son air diplomatique, qu'il avait quelque chose
d'interessant a lui apprendre; malgre la gravite de sa tenue, le
triomphe eclatait dans toute sa personne.
Ce qu'il y avait de remarquable dans le pouvoir que madame de Lucilliere
exercait sur ceux qui etaient de sa cour, c'est qu'elle se faisait obeir
instantanement, sans la plus legere marque d'hesitation ou de revolte.
Lors de l'entree du baron elle etait en compagnie de lord Fergusson et
du duc de Mestosa; elle leur fit un signe imperceptible, aussitot ils
sortirent.
--Vous avez quelque chose a m'apprendre? dit-elle vivement.
--Je viens vous dire que vos habiles combinaisons ont reussi.
--Reussi?
--C'est un devoir que j'accomplis pour la forme, car cette nouvelle est
insignifiante; vous m'aviez si bien trace mon plan, que vous deviez
attendre le succes pour un jour ou l'autre, sans avoir le moindre doute
a son sujet; peut-etre meme trouvez-vous qu'il a beaucoup tarde.
Sans doute
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