inee a fournir a la police des renseignements,
qui heureusement lui manquent, je suis oblige de garder certaines
precautions assez genantes, mais que je crois necessaires
presentement. Au reste, je pourrai, je l'espere, t'ecrire bientot
sans crainte que ma lettre passe sous des yeux indiscrets, et je
te donnerai alors tous les details que je suis oblige de taire
aujourd'hui.
Nous sommes restes a Bale le temps necessaire pour recevoir les
reponses aux lettres que j'avais ecrites; ces reponses ont ete
telles qu'on devait les attendre des braves coeurs auxquels je
m'etais adresse. Alors nous sommes partis pour notre voyage, pour
notre exil en Allemagne.
Maintenant, nous voila installes aussi bien que nous pouvons l'etre,
et nous avons trouve ici un accueil qui t'aurait fait revenir des
preventions que tu nourris contre les Allemands, si tu avais pu en
etre temoin.
Il ne faut pas juger les Allemands a Paris, vois-tu, par ce qu'on
dit d'eux, ou par ce qu'on peut remarquer en etudiant ceux qu'on
rencontre: c'est en Allemagne, c'est chez eux qu'il faut les
connaitre.
Par nos rencontres dans nos congres avec nos freres allemands,
j'etais arrive a me debarrasser de certains prejuges francais, mais
j'etais loin de soupconner la verite.
Particulierement en ce qui nous touche le plus vivement, les
Allemands sont plus avances dans nos idees que nous ne le sommes en
France; ici, ce ne sont pas seulement les ouvriers des villes qui
pensent a une reorganisation sociale, les paysans (au moins dans le
pays ou je suis) sont leurs allies, au lieu d'etre leurs ennemis.
De cette communaute de croyance, il est certain qu'il naitra un
jour un grand mouvement, qui sera irresistible et qui provoquera en
Allemagne une revolution plus terrible et plus complete que ne l'a
ete la revolution francaise.
Quand eclatera ce mouvement? Bien entendu, je n'ai pas la sotte
pretention de vouloir le predire, je ne connais pas assez le pays
pour cela, et d'ailleurs il faudrait entrer dans des considerations
trop longues pour cette lettre ecrite a la hate, car il est bien
entendu que les choses n'iront pas toutes seules; il y aura des
resistances. Deja elles s'affirment, et il est a craindre que ceux
qui dirigent ne jettent leur pays dans des aventures et dans des
guerres, pour tacher d'enraye
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