ent sur des tambours drapes de
noir.
On parlait de greves d'ouvriers qui s'etaient terminees par des coups de
fusil; il y avait de nombreuses arrestations politiques, des proces, des
condamnations; on rapportait des paroles revolutionnaires prononcees
dans des reunions publiques. Apres dix-neuf annees de sommeil, il y
avait des gens qui se reveillaient et qui essayaient de construire des
barricades; on prononcait de nouveau avec un certain effarement les noms
des faubourgs du Temple et de Belleville. En s'entretenant avec leurs
riches clients, les armuriers disaient qu'ils n'osaient pas avoir de
grandes provisions d'armes chez eux, de peur d'etre pilles.
Mais il n'y avait pas la de quoi s'inquieter serieusement: la France
etait tranquille, le gouvernement etait fort.
Au contraire, la note grave se melant quelquefois a la note joyeuse,
mais sans etouffer celle-ci, cela avait du piquant.
Quoi de plus curieux que d'assister, pendant la journee, a l'enterrement
de Victor Noir, la plus grande manifestation populaire des vingt
dernieres annees, et le soir a la representation du _Plus heureux
des trois_, la comedie la plus gaie du repertoire du Palais-Royal?
Profondement saisissante, la face pale et convulsee de Rochefort; mais,
d'un autre cote, bien drole, la physionomie de Geoffroy, la mari trompe,
caresse et content.
On se plaisait aux contrastes, et les fetes dans lesquelles les femmes
du plus grand monde n'etaient recues que deguisees en grisettes
obtenaient le plus vif succes. C'etait admirable! On s'extasiait, sans
se demander si les fetes dans lesquelles les grisettes n'auraient ete
recues que deguisees en femmes du monde n'auraient pas ete presque aussi
reussies.
Le colonel accepta cette vie et se laissa engourdir dans sa monotonie,
prenant les jours comme ils venaient et s'en remettant au hasard pour le
distraire ou l'ennuyer.
Il prit la tete du tout Paris, fut de toutes les fetes, de toutes les
reunions; on le vit partout, et les journaux a informations parlerent de
lui si souvent qu'on aurait pu, dans leurs imprimeries, garder son nom
tout compose; on citait ses mots, et, lorsqu'on avait besoin d'un nom
retentissant pour lui faire endosser une histoire, on prenait le sien,
comme trente ans plus tot on avait pris celui de lord Seymour.
Cependant, si cette vie usait son temps, elle n'occupait ni son coeur ni
son esprit. Il en etait de lui comme de ces rois de feerie qui, apres la
phrase traditionnel
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